
Qu’est-ce qu’une suite de nombres réels ?…
L’illustration dynamique ci-dessous peut en donner une première idée.
Une suite de rebonds …
Une balle est lâchée sans vitesse initiale et rebondit indéfiniment.
A chaque rebond, elle perd un peu d’énergie par dissipation : friction avec le sol, déformation et échauffement de la balle et du support, émission d’ondes sonores, resistance de l’air, …
Notons :
la hauteur de laquelle la balle est lâchée,
la hauteur atteinte à l’issue du n-ème rebond, pour
Les nombres
etc … forment une suite de nombres positifs.
Dans le monde réel, la balle finira bien sûr par s’immobiliser, ce qui suggère de ne considérer qu’une liste (une suite finie). Mais on peut aussi considérer que est défini pour tout n, et que
dès que n est assez grand.
L’objet de cet article est de montrer comment on étudie une suite numérique, sur le plan qualitatif : sens de variation, caractère borné ou non, convergence ou divergence, périodicité éventuelle … tout en se limitant à des outils accessibles en fin de lycée.
Dans un premier temps, les notions utiles sont introduites (sections 1 à 5). En fin d’article, des exemples variés sont examinés en détail.
1 – Quel est le terme suivant ?
L’un des tests de logique les plus connus consiste, après avoir énuméré quelques nombres, à demander quel doit être le suivant. Connaissant les premiers termes d’une certaine suite numérique, il faut donc tâcher de trouver
Dans certains cas, une réponse s’impose plus que toute autre … Par exemple, en démarrant avec :
1, 2, 4, 8, 16, 32
on reconnaît les premières puissances de 2; il est donc raisonnable de proposer 64 pour le terme suivant.
De même, l’énumération :
2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23
doit faire penser aux nombres premiers. C’est donc 29 qui est probablement attendu ensuite.
Dans certains cas, si aucune règle supplémentaire n’est fixée, alors plusieurs réponses sont envisageables, toutes aussi acceptables les unes que les autres. On peut consulter l’exemple du nombre de régions limités par les cordes joignant points d’un cercle, qui est présenté dans cet article et le comparer avec celui des puissances de 2.
Voici un troisième exemple, plus original …
Quel serait, selon vous, le terme suivant pour la séquence ci-dessous ?
2, 5, 4, 3, 4, 3, 7, 5, 10, 9, 8, 9, …
Réponse (cliquer pour déplier / replier)
Vous cherchiez sans doute une astuce arithmétique ou une formule ?
En fait, cette suite a été construite selon un procédé non mathématique. On a simplement énuméré, dans l’ordre croissant, les entiers positifs dont l’écriture en toutes lettres (et en français) ne comporte pas la lettre ‘e’, en comptant à chaque fois le nombre de lettres (et sans compter le tiret éventuel) :
🙂
Bref, la donnée des premiers termes d’une suite numérique ne suffit pas pour connaître les suivants ! Il faut s’y prendre autrement pour définir une suite sans ambiguïté. De quelle manière ?
2 – Définir une suite … oui, mais comment ?
Les modalités les plus courantes sont :
- une formule explicite,
- une formule de récurrence.
➣ Une formule explicite permet le calcul direct d’un terme, dès que son indice (c’est-à-dire son numéro d’ordre) est connu. On peut faire démarrer les indices à zéro, ou bien à une autre valeur; c’est sans importance.
Par exemple, la formule explicite :
1, 2, 5, 10, 17, 26, 37, 50
La formule suivante :


➣ Une formule de récurrence du premier ordre donne accès à n’importe quel terme, dès qu’on connaît celui qui le précède. Un exemple :

0, 1, 2, 5, 26, 677, 458330, 210066388901
Cette suite et la précédente sont distinctes, mais elles ont quelque chose en commun : les termes de la seconde sont tous présents dans la première (ce qui est normal, vu que ce sont des carrés d’entiers auxquels on a ajouté 1). En outre, l’ordre d’apparition des termes est le même : on dit que la seconde suite est extraite de la première.
➣ Une formule de récurrence du second ordre permet le calcul de chaque terme, dès que les deux précédents sont connus. Bien entendu, on a besoin des deux premiers termes pour amorcer le
processus. Exemple :
2, 1, 3, 4, 7, 11, 18, 29
Cette suite est connu sous le nom de suite de Lucas, c’est un peu la sœur jumelle de la suite de Fibonacci, quoique sans doute moins célèbre.

Les deux suites obéissent à la même formule de récurrence, mais avec des conditions initiales différentes. La suite de Fibonacci est définie par :
➣ On peut généraliser … Voici une suite définie par une relation de récurrence d’ordre 4 :
➣ Il faut également signaler le cas des suites définies par une formule de récurrence forte : on donne le premier terme ainsi qu’une formule permettant de calculer chaque terme en fonction de tous les précédents. Exemple :



En effet, si l’on pose :


La suite est connue sous le nom de suite de Sylvester.
Elle possède des propriétés remarquables. Par exemple, si l’on calcule la somme des inverses des premiers termes :
3 – Divers attributs pour une suite
L’illustration dynamique ci-dessous doit aider à rendre intuitives les notions de suite croissante, décroissante, stationnaire, oscillante, majorée, minorée, bornée, périodique, convergente … Des définitions précises sont données juste après (la convergence est définie à la section 4).
Cliquer sur l’image pour faire défiler les différents exemples :
Considérons une suite numérique (on peut noter
mais il est plus commode de noter simplement
.
est dite croissante lorsque :

Si la condition
Parmi les suites non monotones, on distingue les suites oscillantes. Ce sont celles qui varient « en zig-zag », c’est-à-dire que la différence est de signe alterné (positif ou négatif, selon la parité de
est dite périodique s’il existe un entier
tel que :

est dite majorée si :

Une suite simultanément majorée et minorée est dite bornée. Ceci équivaut à :
Pour la notion de convergence, voir la section 4, plus bas.
Examinons maintenant quelques exemples, en détaillant les calculs …
Exemple 1
La suite définie par :
Plus généralement, si est une application croissante, alors la suite définie par la formule explicite :




Dans le cas présent, est l’application

Exemple 2
Considérons la suite définie par :
Mais méfions-nous des apparences et calculons le quotient pour le comparer ensuite à 1. Pour tout
:


L’étude générale des suites dont le terme général est de la forme :




![Rendered by QuickLaTeX.com \left]0,1\right[,](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-62b5bf0283e9e35b5ee092a3b37577cc_l3.png)

Exemple 3
La suite définie par :




Exemple 4
Considérons la suite définie par :


Pour comprendre ce qui se passe, il sera plus simple d’effectuer un
petit changement d’indice. En posant on voit que :

Exemple 5
Considérons la suite définie par :




On a donc affaire à une suite oscillante.
L’étude de cette suite sera poursuivie à la section 6
Exemple 6
Considérons la suite définie par :
La fonction « partie fractionnaire », définie par pour tout
est 1-périodique. La suite de terme général :







4 – Qu’est ce qu’une suite convergente ?
La notion de convergence pour une suite numérique est moins simple à définir (et à cerner …) que les notions de monotonie, périodicité et autres, vues plus haut.
Il serait incorrect de la définir en disant qu’une suite converge vers un nombre réel
à condition que l’écart
diminue et s’approche indéfiniment de 0. On a en effet envie de considérer que la suite de terme général :


La bonne définition remonte au milieu du XIXème siècle. Elle est attribuée à A-L. Cauchy (même s’il y a eu des précurseurs, comme le portugais José Anastácio da Cunha) :
Définition
On dit qu’une suite de nombres réels converge vers
lorsque, pour tout
il existe un entier
tel que :


Exemple
Considérons la suite de terme général :






Pour tout :




On peut prouver les résultats suivants, qui sont fondamentaux :
Théorème 1
Etant données deux suites convergentes et
de limites respectives
et
:
- la suite
converge vers
- la suite
converge vers
Théorème 2
Etant donnée une suite convergente de limite
il existe
tel que
dès que
et la suite
converge vers
En combinant le second théorème avec la deuxième partie du premier, on obtient la :
Proposition
Etant données deux suites convergentes et
de limites respectives
et
avec
, la suite
est bien définie pour
assez grand et converge vers
Signalons encore un résultat important :
Lemme de Cesàro
Etant donnée une suite convergente de limite
la suite de terme général :

La preuve du lemme de Cesàro constitue une excellente occasion de se frotter à la définition de la convergence, en manipulant des et des
…
On veut montrer que l’écart peut être rendu arbitrairement petit, pourvu que
soit assez grand.
Etant donné arbitraire, on sait qu’il existe un entier
tel que :




Allègeons l’écriture en notant simplement la quantité encadrée, qui est constante (elle ne dépend pas de
:





Pour finir, il existe certainement un entier tel que :



Remarque : le cas 
Ce résultat reste valable dans le cas d’une suite qui diverge vers ou vers
Autrement dit, si
alors
et même chose avec
La démonstration est à peine différente, mais détaillons-la tout de
même, dans le cas où diverge vers
Etant donné un réel arbitraire, il existe un entier
tel que :






Ainsi, pour tout :
Un article intégralement dédié au lemme de Cesàro et à son histoire est consultable ici.
5 – Convergence monotone
En théorie, la convergence d’une suite peut être établie en se servant de la définition rappelée au début de la section précédente.
Toutefois, dans bon nombre de cas, cette stratégie n’est pas envisageable, pour la simple raison qu’elle exige que la valeur de la limite soit connue à l’avance (voir l’exemple traité à la section 4, ainsi que la preuve du lemme de Cesàro).
Par exemple, il se trouve la suite de terme général :
Voici un résultat d’usage courant, qui fournit une condition suffisante de convergence :
Théorème de la limite monotone
Toute suite réelle, croissante et majorée ou bien décroissante et minorée, est convergente.
Il est essentiel de bien voir que l’hypothèse ne constitue qu’une condition SUFFISANTE, et pas du tout nécessaire ! Par exemple, la suite de terme général :
Le théorème de la limite monotone sera admis dans le présent article. Toutefois, le lecteur intéressé pourra consulter ici une preuve. Contentons-nous d’examiner des exemples qui en soulignent l’intérêt.
Exemple 1
Notons, pour tout :






La convergence de la suite est établie, mais cette méthode nous laisse dans l’ignorance quant à la valeur de sa limite, qu’on peut noter
La question du calcul explicite de constitue le célèbre problème de Bâle, posé en
par le mathématicien italien Pietro Mengoli, et résolu environ un siècle plus tard par Leonhard Euler, qui prouva que :
Exemple 2
La suite définie par :
Comme on le voit d’ailleurs dans l’article en question, on peut prouver (en faisant intervenir les intégrales de Wallis) que :


6 – Exemples variés d’études de suites
Commençons par deux « incontournables ».
Exemple 1
Donnons-nous un réel quelconque et un réel
tel que
Etudions la suite de terme général :




Notons En passant à la limite dans l’égalité :




Remarque
Ce qui précède inclut le cas particulier de la suite géométrique (en choisissant
Bien entendu, une telle suite est (strictement) décroissante, tout court (la mention APCR n’a pas lieu d’être).
Exemple 2
A présent, fixons un réel et posons, pour tout
:






On notera que les deux exemples précédents ont été traités essentiellement de la même façon. Passons à l’étude d’une suite définie par itération d’une fonction.
Exemple 3
Reprenons la suite définie par :
Nous savons qu’elle est oscillante et le théorème de la limite monotone ne peut donc pas lui être appliqué directement.
Une première chose à faire consiste à déterminer sa limite EVENTUELLE.
Supposons un instant que cette suite converge et notons sa limite. Comme
pour tout
alors
et, en particulier :
Ceci nous autorise à effectuer un passage à la limite dans l’égalité :


Attention, ceci ne prouve absolument pas que la suite converge vers cette valeur, mais seulement que SI ELLE CONVERGE, alors c’est nécessairement vers ce nombre (que le lecteur averti aura reconnu : il s’agit du nombre d’or).
En utilisant le logiciel en ligne live-itération, on peut facilement obtenir le graphique ci-dessous. On y voit les premières étapes de l’itération de la fonction

Bien qu’il n’ait évidemment pas valeur de preuve, ce dessin suggère fortement que la suite converge en oscillant vers une limite plus grande que 1.
Il nous reste à établir rigoureusement cette convergence. Pour cela, l’idée va être de majorer convenablement l’écart . Etant donné que :





Exemple 4
Petit changement d’ambiance … posons, pour tout :

L’intérêt de ce genre d’exercice tient notamment au fait que l’intégrale n’est pas calculable explicitement (sauf pour et
… exercice pour le lecteur 🙂 ). On doit donc abandonner l’idée de se débarrasser du symbole
Avec un peu d’habitude, on pense à faire intervenir ici la majoration suivante :

On voit ainsi que, pour tout :


Théorème d’encadrement
Soient sont trois suites réelles. On suppose que
et, de plus, que les suites
et
convergent vers une même limite
Dans ces conditions, la suite converge aussi vers
En conclusion, la suite converge vers 0.
Dans les exemples qui précèdent, les suites étudiées étaient convergentes. Terminons avec deux exemples de suites divergentes …
Exemple 5
Posons, pour tout :

()



Si la suite était majorée, elle convergerait vers une limite
En passant à la limite dans l’inégalité
on obtiendrait :


Détail (cliquer pour déplier / replier)
On dit d’une suite réelle qu’elle diverge vers
lorsque :

En effet, soit une telle suite. Le fait qu’elle ne soit pas majorée se traduit par :
Exemple 6
Fixons un réel non multiple de
et posons, pour tout
:


On fait donc l’hypothèse que l’une au moins des deux suites converge et l’on cherche une contradiction.
Il sera utile de noter que, pour tout :
Vu que la relation
montre que, pour tout
:


De même, la relation montre que pour tout
:


Bref, la convergence de l’une au moins des deux suites entraîne la convergence des deux.
Notons les limites respectives de
et
En passant à la limite dans les relations
et
on voit que :


()
()


Vos questions ou remarques seront toujours les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.
Bonjour, à propos de la section 6. Convergence d’une suite. L’exemple choisi :
si n pair ,
sinon.
et
ne décroisse pas de manière uniforme mais plutôt en dents de scie en
si n impair et 0 sinon. …
et
. Le fait que la suite soit oscillante ne me parait pas contredire la définitition de convergence selon Cauchy.
aussi petit soit il, on trouvera toujours un N tel que
et a fortiori 0 soit plus petit que le Epsilon choisit. N’est ce pas suffisant pour affirmer que
converge vers 0?
Je conçois que l’écart entre
Pour n’importe quel
correction, Tous les
superieurs aux 
Je pense que vous devez faire référence à la section 4 (et pas 6), où l’on explique que la convergence d’une suite ne saurait être définie en imposant à l’écart
de décroître et de « s’approcher toujours plus de 0 ».
La suite proposée ne vérifie d’ailleurs PAS cette condition et pourtant on a bien envie de la considérer comme une suite convergente. A partir de là, on adopte la définition de la convergence telle que Cauchy l’a formulée.
… et donc, en choisissant N = 1/Epsilon, La suite verifie bien la definition telle que Cauchy l’a formule’e, i.e. elle converge vers 0. Cette conclusion est elle correcte?
En relisant, je pense que le texte veut montrer l’evolution de la notion de suite convergente qui « converge » vers une definition plus precise telle « Cauchy ».
Ah oui, je réalise tout à coup le lapsus ! C’est la réponse du berger à la bergère. Bon, les colles reprennent cette semaine, non plus en MPSI mais en MP2I pour moi. Merci pour vos articles intéressants dans lesquels je puise des idées pour mes exercices.
Bonjour, il manque le cœur et le trèfle pour désigner où sont les deux relations incompatibles. Enfin, elle ne sont pas bien difficiles à localiser. Par contre, il y a beaucoup plus grave : sur la photo, ce ne sont pas des gendarmes mais des policiers !
Bonjour et merci pour votre lecture attentive (et votre œil d’aigle !) : j’ai ajouté en toute fin d’article les deux symboles manquants.
Vous avez raison, j’ai confondu policiers et gendarmes et je m’en excuse. Mais je n’ai pas trouvé meilleure photo …
Et après tout, confondre trèfle et pique, n’est-ce pas tout aussi grave ? 🙂
Je trouve hyper intéressant ce site 😋 merci