
Dans la première partie de cette introduction à l’étude des séries, sont apparues quelques généralités, ainsi que les résultats de base concernant les séries à termes positifs (SATP).
On a notamment vu que l’étude d’une SATP est facilitée par la croissance de la suite des sommes partielles. Ce simple fait est au cœur du principe de comparaison, qui admet lui-même deux principaux
corollaires :
- la règle de d’Alembert,
- la règle des équivalents.
Lorsque le terme général est de signe constant APCR, l’étude d’une série se ramène aussitôt à celle d’une SATP.
Il n’en va plus de même lorsque le signe du terme général fluctue indéfiniment ou, plus généralement, pour une série à termes complexes.
Cette étude générale est abordée dans le présent texte. Les principaux outils (convergence absolue, théorème des séries alternées, développement asymptotique du terme général et autres …) sont établis de façon détaillée et illustrés d’exemples.
1 – Opérations sur les séries convergentes
Que se passe-t-il si l’on combine entre elles des séries convergentes ?
Avant de répondre à cette question, il convient de préciser ce qu’on entend par « combiner » …
Proposition
Soient et
deux séries complexes convergentes et soit
Alors la série est convergente et admet pour somme :
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
On revient à la définition de la convergence d’une série, à savoir la convergence de la suite des sommes partielles. Si l’on note, pour tout :


En particulier, la somme de deux séries convergentes converge vers la somme des sommes (!).

Attention, ceci ne fonctionne pas dans l’autre sens… On peut obtenir une série convergente en additionnant deux séries divergentes (il suffit de considérer une série divergente et la série opposée).
Quant à la somme de deux séries de natures contraires (l’une convergente et l’autre divergente), elle est fatalement divergente (sauriez-vous justifier cela ? la réponse est en annexe).
Autre opération importante : le produit deux séries et
Il ne s’agit pas du produit « naïf », qu’on définirait par Cette notion n’a d’ailleurs pas beaucoup d’intérêt, car si les trois séries
et
sont convergentes, on n’a pas de relation spéciale entre leurs sommes. En particulier, l’égalité :
La « bonne » notion est la suivante :
Définition
Le produit de Cauchy des séries complexes et
est la série de terme général :
On en reparle à la section 7 où l’on verra, entre autres, que si les trois séries
et
sont convergentes, alors :
2 – Convergence absolue
Vous préférez visionner une vidéo de 15′ environ sur ce thème ? C’est ici :
Définition
Une série complexe est dite absolument convergente lorsque la série à termes positifs
converge.
Cette définition pourrait sembler un peu vaine sans le résultat spectaculaire suivant :
Théorème
Toute série complexe, absolument convergente, est convergente.
On en trouvera, dans cet article, une preuve détaillée pour les séries à termes réels. Ajoutons le peu qui manque pour le cas d’une série complexe.
Considérons une série telle que la série
soit convergente. Les inégalités :



Ensuite, la série apparaît comme combinaison linéaire de deux séries convergentes, puisque pour tout
:
Exemple 1
Pour tout la série :

Exemple 2
La série
Elle n’est pas absolument convergente, puisqu’en prenant son terme général en valeur absolue, on tombe sur la série harmonique, qui diverge.
Elle est cependant convergente et l’on peut même se payer le luxe d’en calculer la somme.
Pour tout écrivons la
ème somme partielle sous forme intégrale :

L’exemple qui précède débouche naturellement sur la …
Définition
On qualifie de semi-convergente une série convergente qui n’est pas absolument convergente.
La série harmonique alternée est donc semi-convergente. On verra d’autres exemples à la section suivante, ainsi qu’à la section 5.
3 – Séries alternées
Adoptons la définition suivante (la terminologie varie un peu selon les sources) :
Définition
Une série réelle est dite alternée si son terme général est de signe alterné, ce qui revient à dire que le signe de
est indépendant de
Pour ce type de séries, le résultat principal est le suivant :
Théorème des séries alternées (TSA)
Si est une suite réelle qui converge vers 0 en décroissant, alors la série alternée
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
On va montrer que la suite des sommes partielles est convergente, en prouvant que les suites extraites
et
convergent vers une même limite.
Posons donc, pour tout :

D’autre part :



La convergence de la série est ainsi établie. Notons
sa somme et passons à la majoration du reste.
Posons, pour tout :



Voici maintenant deux exemples d’utilisation du TSA.
Exemple 1
Nous avons rencontré plus haut la série harmonique alternée :
Bien entendu, ceci ne nous donne pas accès au calcul de la somme. En revanche, la majoration du reste nous informe quant à l’erreur commise en remplaçant cette somme par une somme partielle.
Plus précisément :





Pour atteindre une précision de il « suffit » donc d’ajouter le premier milliard de termes … ce qui est assez lamentable, en termes d’efficacité !
Il existe diverses façons de contourner cet obstacle, en construisant des séries qui convergent très rapidement vers Mais c’est un autre sujet.
Exemple 2
On pose, pour tout :

On peut toutefois comprendre les choses intuitivement : lorsque est grand,
est voisin de
(si vous en doutez, prenez votre calculette préférée et regardez ce qui se passe pour
par exemple), de sorte que
est « peu différent » de
Bon. Pas très rigoureux tout ça … et puis, quand bien même on démontrerait que la suite converge vers 0, cela ne nous apprendrait rien sur la nature de la série
Pour y voir clair, on peut utiliser la technique de l’expression conjuguée pour transformer :

![Rendered by QuickLaTeX.com \left[0,\frac{1}{2}\right].](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-2b79fb4f03abfae91c2fecf5de56201a_l3.png)
Comme :

![Rendered by QuickLaTeX.com \left[0,\frac{\pi}{2}\right]).](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-f4f7eaca290a0ea42f05eb83f03ad87e_l3.png)
Ainsi, le TSA s’applique et la série converge.
Grâce à la règle des équivalents, on peut ajouter qu’elle est semi-convergente puisque :
Un exemple (un peu tiré par les cheveux) de série alternée convergente est étudié à l’exercice n° 8 de cette fiche; il s’agit de :
4 – Développement asymptotique du terme général
Etant donnée une suite on appelle développement asymptotique à
termes de cette suite toute écriture de la forme :

Il est facile de généraliser cela à un développement asymptotique à termes. Pour être plus précis, il faudrait définir la notion d’échelle de comparaison, mais restons simples et examinons plutôt deux exemples significatifs qui montrent l’intérêt de cette notion pour l’étude des séries.
Exemple 1
On demande la nature de la série de terme général :

La bonne idée consiste à développer asymptotiquement le terme général :
Ce calcul montre que la série converge puisqu’elle est combinaison linéaire de trois séries convergentes, à savoir :
- la série harmonique alternée,
- la série de Riemann
- une série absolument convergente dont le terme général est, en valeur absolue, majoré APCR par
Exemple 2
On demande la nature de la série de terme général :



ATTENTION ! Ce raisonnement est faux !
La règle des équivalents, qui a été étudiée ici, ne s’applique qu’à des séries dont le terme général est de signe constant APCR. On ne peut donc pas l’utiliser dans ce cas.
Vous l’aurez deviné, c’est un développement asymptotique qu’il nous faut :
- la série
qui converge (d’après le TSA)
- la série harmonique, qui diverge
- la série « résiduelle », absolument convergente puisque de terme général majoré, en valeur absolue, par
pour un certain
Moralité, la série diverge.
5 – Règle d’Abel

La transformation d’Abel, que nous allons décrire dans cette section, s’apparente formellement à une intégration par parties … sauf que les intégrales sont remplacées par des sommes ordinaires.
C’est ce qu’on pourrait appeler une IPP « discrète ».
Proposition (transformation d’Abel)
Soient et
Si l’on pose pour tout
:
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
En remplaçant chaque par
(et en convenant que
on obtient :
Voici maintenant une condition suffisante de convergence qui vient s’ajouter aux règles déjà connues (et qui permettra parfois de conclure lorsque celles-ci ne s’appliquent pas …).
Règle d’Abel
On suppose que la suite réelle converge vers
en décroissant et que
est une suite complexe dont la suite des sommes partielles est bornée.
Dans ces conditions, la série est convergente.
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
On pose, pour tout :





Par ailleurs :

Remarque
Le TSA est un cas particulier de la règle d’Abel ci-dessus puisque, si l’on pose pour tout :

Traitons un exemple emblématique d’utilisation de le règle d’Abel.
Proposition
Etant donnés et
la série
est semi-convergente.
La divergence de la série des modules est évidente, puisque la série de Riemann diverge.
Pour la convergence, on applique la règle d’Abel, en considérant que, pour tout :


Il résulte de cette proposition que l’ensemble des couples pour lesquels la série trigonométrique
converge est :
Pour un tel couple les séries
et
sont donc convergentes. Le sont-elles absolument ou bien sont-elles semi-convergentes ? Cette question est (partiellement) abordée dans l’exercice n° 6 de cette fiche.
Concernant la transformation d’Abel, on pourra consulter aussi l’exercice n° 8 de cette fiche.
6 – Séries et intégrales
Dans la première partie de cet exposé, on a étudié la nature des séries de Riemann en effectuant une comparaison série / intégrale.
La proposition suivante décrit cette méthode sous une forme un peu plus générale.
Proposition
Soient et
une application continue, positive et décroissante.
La série et l’intégrale impropre
sont de même nature.
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Comme est décroissante, pour tout
:



- si la série
converge, alors pour tout
on voit avec
et en tenant compte de la positivité de
que :
est croissante et majorée, donc possède une limite finie en
Autrement dit, l’intégrale impropre
converge.
- si l’intégrale impropre
converge, alors d’après
:
converge.
Un exemple classique d’utilisation de cette technique (outre les séries de Riemann dont on a déjà parlé) est celui des séries de Bertrand : cette question fait l’objet de l’exercice n° 5 de cette fiche.
Détaillons, en exercice, un exemple similaire :
Exercice
Déterminer les pour lesquels la série :
Une solution est consultable en annexe.
L’idée de comparer une série et une intégrale ne se limite pas au cas où la fonction intégrée est décroissante et positive (même si ce cas est certainement le plus simple). D’une manière générale, on peut espérer découvrir la nature de en remarquant que, pour tout
:


Exemple
On demande la nature de la série :
Posons, pour tout :





![Rendered by QuickLaTeX.com c\in\left]n,n+1\right[](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-5f0f8e5a49e9fd1d0c812b3c6ae35c4a_l3.png)

Finalement, la série converge aussi, puisque c’est la différence de deux séries convergentes.
7 – Produit de Cauchy de deux séries
Le produit de Cauchy de deux séries complexes a été défini à la section 1. Le principal résultat est le suivant :
Théorème (produit de Cauchy de séries ACV)
Si les séries et
sont absolument convergentes, alors leur produit de Cauchy
aussi et de plus :
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Rappelons que, par définition :


Posons, pour tout :
()
Comme les suites et
convergent respectivement vers
et
leur produit est majoré. La suite
est ainsi majorée, donc convergente (la suite
est croissante en raison de la positivité supposée des termes
et
pour tout
Notons :




Passons maintenant au cas général (termes complexes). Notons, pour tout :





L’exemple qui suit découle de ce théorème. Il est fondamental :
Proposition
La fonction exponentielle complexe vérifie l’équation fonctionnelle :
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Rappelons que, par définition :





Etant données deux séries complexes et
voici trois questions qui se posent concernant leur produit de Cauchy
:
- Est-il suffisant que
et
soient convergentes pour que
le soit ?
- En cas de convergence des trois séries, a-t-on nécessairement :
?
- Est-il nécessaire que
et
soient absolument convergentes pour que
soit convergente ?
Les réponses à ces questions sont non, oui et non.
Question 1
Un contre-exemple suffit. Posons, pour tout :


Question 2
Il s’agit d’une (jolie) application du lemme de Cesàro. Comme on l’a déjà fait plus haut, notons :
()
Or, on peut montrer que :
Lemme
Si sont deux suites complexes convergentes, alors la suite de terme général :
Une preuve détaillée de ce lemme est consultable en annexe.
Avec ce résultat en poche, on voit que le membre de droite de converge vers
Mais d’après le lemme de Cesàro, le membre de gauche converge vers On peut ainsi conclure que :
Question 3
Cette question débouche sur un résultat connu sous le nom de théorème de Mertens. Selon ce théorème, il suffit que les deux series soient convergentes et que l’une au moins d’entre elles le soit absolument. Une démonstration est proposée à l’exercice n° 9 de cette fiche.
Annexe
1 – Somme de séries de natures contraires
Etant données deux séries de natures contraires (l’une convergente et l’autre divergente), leur somme diverge.
Ceci n’a rien de spécifique aux séries. Considérons deux suites complexes . Supposons que
converge et que
diverge. Si la suite
était convergente, alors
serait convergente, en tant que différence de deux suites convergentes. Cette contradiction prouve que la suite
diverge.
On peut maintenant appliquer ceci aux suites des sommes partielles pour obtenir le résultat voulu.
2 – Nature d’une série par comparaison à une intégrale
Il s’agissait de discuter, selon la valeur du paramètre réel , de la nature de la série :
Considérons l’application :




Le théorème de comparaison série / intégrale s’applique donc. La série proposée est de même nature que l’intégrale impropre :


3 – Un lemme de Cesàro par convolution
Soient et
deux suites complexes convergentes, de limites respectives
et
On définit une suite
en posant, pour tout
:

On peut déjà deviner quelle pourrait être cette limite, en examinant le cas particulier où l’une des deux suites est constante. En effet, si pour tout
alors le lemme de Cesàro montre que
Cela dit, revenons au cas général. On constate que, pour tout :


Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.
Ce riche article nécessitera pour ma part au moins une deuxième lecture !
Il est intéressant de lire et comprendre que le théorème des séries alternées est un cas particulier de la règle d’Abel (la règle d’Abel est (était?) hors programme MP et donc non enseignée dans une MP « modeste », du moins dans les années 2000).
Pour les moins affûtés -comme moi-, dans le deuxième exemple de la partie 3, on peut écrire :
rac(n^2 + n + 1) = rac((n + 1/2)^2 + 3/4) qui est proche de rac((n + 1/2)^2 ) ie n + 1/2 pour n grand, car le terme 3/4 devient négligeable devant les autres quantités qui croissent vers + l’infini.
Bien à vous.