Etant donnés deux nombres réels strictement positifs, il est facile de prouver que leur moyenne géométrique est inférieure ou égale à leur moyenne arithmétique En effet :
L’objet de cet article est de présenter la version générale de ce résultat, à savoir la comparaison entre moyennes géométrique et arithmétique, pour nombres positifs (avec :
Nous ferons référence à cette célèbre inégalité en la désignant par l’IGA (acronyme-maison pour « inégalité géométrico-arithmétique »). Il en existe diverses démonstrations. Quatre d’entre-elles ont été retenues : elles sont présentées aux sections 1 à 4. La première, qui est aussi la plus concise, repose sur un argument de convexité. Les trois suivantes sont plus alambiquées mais présentent néanmoins un certain intérêt, ne serait-ce que par leur élégance. L’intérêt de la preuve présentée à la section 4 est historique : elle apparaît en 1821 dans le cours d’Analyse Algébrique de Cauchy. Les sections 5 et suivantes proposent des exemples d’utilisation de l’IGA.
Remarque
Les puissances avec exposant rationnel (et, en particulier, la notion de racine ème) sont étudiées à la section 5 de cet article, auquel on pourra se reporter si nécessaire.
Il sera parfois commode de noter, pour et :
plutôt que simplement A et G. Cette notation un peu épaisse s’avère utile dans un contexte où plusieurs valeurs de coexistent.
1 – Preuve par convexité
Ce qui suit suppose connue la notion de fonction convexe.
L’inégalité de Jensen, appliquée à la fonction exponentielle, montre que :
pour tout entier pour tout et pour tout vérifiant
Maintenant, considérons des réels et choisissons, pour tout :
L’inégalité précédente prend la forme :
c’est-à-dire :
2 – Preuve par homogénéité
On procède en deux étapes …
ETAPE 1
On prouve d’abord par récurrence la :
Proposition
Pour tout entier si sont tels que alors :
Initialisation () – Soient tels que Alors :
puisque :
Hérédité – Supposons la propriété vraie au rang pour un certain Soient alors positifs, de somme Il s’agit de montrer que :
Si c’est évident car dans ce cas : Dans le cas contraire, on observe que :
()
Or, d’une part, d’après l’hypothèse de récurrence :()
et d’autre part, en posant on calcule :d’où :
()
La combinaison de et donne la proposition.ETAPE 2
Considérons un entier et des réels Pour montrer que :
on distingue deux cas :
- Si c’est évident.
- Si pour au moins un indice alors en posant et pour tout on voit que et l’étape 1 s’applique. On obtient :
3 – Preuve par récurrence directe
Remarque
La preuve qui suit fait aussi l’objet de l’exercice n° 9 cette fiche
Pour l’inégalité est connue pour Supposons que, pour un certain on ait :
quels que soient Considérons alors et notons :
Soit pour tout alors Supposons désormais que les ne soient pas tous égaux à Nécessairement :
Il s’ensuit que c’est-à-dire :
()
Maintenant, on peut supposer sans perte de généralité que et appliquer l’hypothèse de récurrence au uplet :ce qui donne avec :
Or :
et :
donc :
et a fortiori, d’après :
ce qui donne la conclusion attendue.
4 – La preuve de Cauchy
Dans son cours d’analyse algébrique, publié en 1821, Cauchy explique, entre autres, quelles sont les règles usuelles de manipulation des inégalités. Pour et il prouve que :
en commençant par traiter le cas où est une puissance de (voir le détail ci-dessous). Ensuite, étant donné un entier qui n’est pas une puissance de Cauchy considère un entier naturel tel que désigne par la moyenne arithmétique de et applique l’inégalité avec les nombres suivants :
ce qui fournit :
Comme cette inégalité se simplifie pour donner :
c’est-à-dire comme souhaité.
Détail : les cas des puissances de 2
Notons l’assertion suivante. Quels que soient :
On prouve par récurrence que est vraie pour tout L’intialisation est en place; c’est toujours la fameuse inégalité :
Supposons vraie pour un certain et donnons-nous Alors (en conservant les notations introduites dans le préambule) :
et l’hérédité est donc établie.
5 – Et la moyenne harmonique ?
En dehors des moyennes arithmétique et géométrique, on définit usuellement la moyenne harmonique de Il s’agit du nombre dont l’inverse est la moyenne arithmétique des inverses. Autrement dit :
Proposition
Les moyenne arithmétique, géométrique et harmonique de vérifient :
Soit et soient Nous savons (et nous avons prouvé de plusieurs façons) que :
Il s’ensuit que :
ce qui donne le résultat.
Signalons une petite amusette au sujet de la moyenne harmonique : un type effectue un trajet aller-retour entre un lieu A et un lieu B. L’aller s’effectue à la vitesse constante et le retour s’effectue à la vitesse constante Quelle est, sur l’ensemble du trajet, la vitesse moyenne ?
Si vous posez la question autour de vous, il y a des chances pour qu’on vous réponde :
Et c’est faux ! La réponse correcte est :
Explication …
Notons et les temps mis pour effectuer respectivement l’aller et le retour. En notant la distance entre A et B, on voit que :
6 – Un petit exo
Etant donnés quatre nombres réels positifs tels que on demande de montrer que :
Voici deux façons de traiter cette question …
Solution 1
On sait que, pour tout :
Donc et
Par ailleurs, et d’où
Ainsi
Cette minoration ne peut d’ailleurs pas être améliorée, car c’est une égalité lorsque
Solution 2
On applique l’IGA :
et voilà 🙂
7 – Application : l’inégalité de Carleman
On doit au mathématicien suédois Torsten Carleman (1892 – 1949) le résultat suivant :
Théorème
Pour toute série convergente à termes strictement positifs , la série de terme général converge et :
En outre, le facteur est optimal.
Jolie majoration ! Et il n’est même pas évident que la série apparaissant au membre de gauche soit convergente … En effet, une idée naturelle pour justifier cette convergence serait d’invoquer le principe de comparaison pour les séries à termes positifs :
sauf que, si l’on note le membre de droite est équivalent à qui est le terme général d’une série divergente. Il va donc falloir être plus malin …
On notera Considérons une suite à termes strictement positifs. Pour tout :
Il en résulte :
Donc, après interversion des deux sommes:
Jusqu’ici les étaient quelconques. Il est temps d’effectuer un choix judicieux …
On peut les choisir de telle sorte que :
ce qui revient à adopter pour tout On voit alors que :
Or :
et donc :
En passant à la limite, on obtient l’inégalité de Carleman.
Remarque
En fait l’inégalité de Carleman est stricte. En effet : reprenons au ralenti ce qui vient de se passer …
La majoration précédente prouve que, pour tout :
ce qui montre la convergence de la série Rappelons d’ailleurs que cette convergence n’était pas évidente de prime abord, comme cela a été signalé plus haut. En passant à la limite dans l’inégalité :
il vient :
Et cette dernière quantité est strictement majorée par
Terminons avec l’optimalité du facteur Pour cela, considérons, pour tout la série (harmonique tronquée) de terme général :
qui est évidemment convergente. Posons, pour tout :
Alors, pour tout (et si Par ailleurs, on sait (via un corollaire du lemme de Cesàro par exemple) que
Donc, d’après le principe de sommation des relations de comparaisons dans le cas divergent :
Et comme :
on conclut que :
Le facteur dans l’inégalité de Carleman est bien optimal.
Si cet article vous a plu, merci de laisser un petit commentaire 🙂
Précisons que le sujet est très loin d’avoir été épuisé. On pourrait par exemple parler de la moyenne arithmético-géométrique de deux réels Il s’agit de la limite commune des suites et définies par :
et, pour tout :
Un prochain article y sera sans doute consacré.
(En revanche pas évidente à trouver sans indication l’inégalité de Carleman 😊 !)
Bonjour Monsieur,
Merci pour ce bel article 😊
Je trouve la preuve de Cauchy agréable, car élégante et donnant l’impression qu’elle peut se trouver seul, en un temps raisonnable, même après avoir oublié beaucoup de notions !
Dans la partie 3 après « Nécessairement : » c’est peut-être ai < A < aj à la place de aiA.
Dans la partie 7, à la fin de l’encadré bleu Remarque, le strictement s’affiche dans son code latex !
Bonne soirée à vous,
Fabrice
Merci beaucoup Fabrice, une fois de plus, pour votre retour.
J’ai mis à jour le texte de l’article.