Dans cet article, je vous propose de voir comment un même artifice technique, emprunté à la théorie des groupes finis, permet d’établir les trois résultats suivants ( désigne un nombre premier) :
Théorème 1 (Wilson)
Théorème 2 (Fermat)
Théorème 3 (Euler)
Ce dernier énoncé est un cas particulier du critère d’Euler.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons les notations et rappelons quelques résultats.
Section 1 – Rapide survol de l’anneau et du corps
Etant donné un entier la notation indique que l’entier est congru à l’entier modulo ce qui signifie que est un diviseur de
La relation de congruence modulo est une relation d’équivalence (réflexive, symétrique et transitive) dans
La classe d’équivalence de peut être notée (notation commode, mais ambigüe puisqu’elle n’indique pas quel est l’entier sous-jacent).
L’ensemble des classes d’équivalence, noté comporte éléments (à savoir les pour tel que
On définit deux opérations (notées et dans en posant, pour tout :
On s’assure de la validité de ces définitions en vérifiant que et ne dépendent pas des entiers et choisis pour représenter ces classes.
Muni de ces deux opérations, l’ensemble devient un anneau commutatif, qui n’est intègre que si est premier et qui, dans ce cas, est même un corps (tout élément autre que la classe nulle est inversible).
Lorsque est premier, on note pour (« corps » se dit « field » en anglais, d’où le
Section 2 – Factorielle d’un groupe abélien fini
Soit un groupe abélien fini (l’opération en vigueur dans est notée multiplicativement).
Je propose de nommer « factorielle de » et de noter le produit de tous les éléments de ce groupe.
Ainsi, en notant :
ATTENTION …
La notation n’est pas standard (vous ne la trouverez sans doute pas ailleurs que dans cette note). Elle est cohérente en raison de l’hypothèse de commutativité : peu importe l’ordre dans lequel les éléments de sont énumérés.
Signalons aussi que c’est l’associativité du produit dans qui, fondamentalement, permet d’utiliser la notation En effet, sans associativité, l’écriture n’aurait aucun sens, puisque différents parenthésages pourraient conduire – a priori – à des produits différents.
Considérons par exemple le groupe des racines èmes de l’unité.
Proposition 1
Pour tout :
En effet, par définition :
Or, il est bien connu que Par conséquent :
et donc, d’après la formule de Moivre :
Plus généralement :
Proposition 1 Bis
Soit groupe cyclique de cardinal et d’élément neutre Alors :
où désigne (dans le cas où est pair) l’unique élément d’ordre dans
Deux groupes cycliques de même cardinal étant isomorphes, on peut se contenter d’invoquer la proposition précédente, mais je trouve éclairant de procéder de manière « directe ».
Les solutions dans de l’équation sont, d’une part l’élément neutre et, d’autre part, les éventuels éléments d’ordre 2. Or, dans un groupe fini de cardinal l’ordre de tout élément divise De plus, si le groupe est cyclique, alors pour tout diviseur de les éléments d’ordre sont les générateurs de l’unique sous-groupe de cardinal (et ces éléments sont au nombre de où est l’indicatrice d’Euler). On voit en particulier que :
- Cas 1 – Si est impair, alors ne possède aucun élément d’ordre 2
- Cas 2 – Si est pair, alors possède un unique élément d’ordre 2
Considérons maintenant le produit qui définit et plaçons-nous, tour à tour, dans chacun de ces deux cas.
Dans le premier cas, en mettant à part le neutre, il reste le produit d’un nombre pair d’éléments, que l’on peut apparier (chacun avec son inverse) et au final :
Dans le second cas, on isole et du produit et l’on procède de même (regroupement par paires de tous les éléments restants, chacun avec son inverse), ce qui conduit cette fois à :
Question
Que reste-t-il de ce résultat pour des groupes abéliens finis plus généraux (c’est-à-dire : non cycliques) ?
La proposition ci-dessous apporte une réponse …
Proposition 2
Pour tout groupe abélien fini d’élément neutre :
De plus, si est impair, alors
En effet, l’application est une involution. Par conséquent :
Et dans le cas où le cardinal de est impair, vu qu’il n’existe aucun élément d’ordre 2 (d’après le théorème de Lagrange), on voit que
Ce dernier résultat est présenté ici pour son intérêt propre : dans tout groupe abélien fini, le produit des éléments est soit neutre soit d’ordre 2.
Cela dit, nous n’en aurons pas besoin dans la suite puisque le groupe que nous allons utiliser est cyclique (et la proposition 1Bis s’appliquera).
Section 3 – Théorème de Wilson
Supposons premier,
Appliquons au groupe la méthode suivie pour la proposition 1Bis, à ceci près qu’il ne va pas être nécessaire de savoir au préalable que ce groupe est cyclique.
Les solutions dans le corps de l’équation sont et Ces deux classes (qui n’en feraient qu’une pour …) sont donc les deux seuls éléments de qui coïncident avec leur inverse. Les autres éléments vont donc pouvoir être appariés, chacun avec son inverse (noter que est pair) ce qui donne :
et donc :
()
Bien entendu, cette relation vaut aussi pourLe théorème de Wilson est démontré.
Remarque
La réciproque du théorème de Wilson est vraie.
En effet, supposons qu’un entier vérifie et imaginons un instant que ne soit pas premier. Alors il existerait un entier tel que et De on déduit que et de on déduit que et donc, par différence, ce qui est absurde.
Ainsi, la congruence caractérise les nombres premiers. Bien entendu, ceci constitue un piètre test de primalité, car pour assez grand, il faudrait calculer la factorielle de qui est un entier de taille colossale !
Section 4 – Petit théorème de Fermat
Théorème
Si alors pour tout :
Ce résultat se démontre classiquement par récurrence (sur bien sûr). La preuve repose de façon cruciale le fait que le coefficient binomial est multiple de pour tout tel que
Si cette preuve vous intéresse, je vous invite à la lire en annexe.
Voici l’essence de notre démonstration.
Si est un groupe abélien fini de cardinal alors :
- en notant
- et en choisissant (de sorte que pour un certain
l’application est une bijection (dont la réciproque est
Par conséquent :
et donc, après simplification par (tout élément étant inversible dans un groupe) :
Remarque
Il découle du théorème de Lagrange (qui fait l’objet de cette vidéo) que dans tout groupe fini de cardinal (non nécessairement abélien), la puissance ème d’un quelconque élément est égale à l’élément neutre. L’intérêt de ce qui précède est d’en apporter une preuve simplifiée dans le cas particulier des groupes abéliens.
Appliquons ceci à (ce qui impose et avec non multiple de (cette condition garantissant que c’est-à-dire On obtient :
ou encore :
d’où, après multiplication par :
Par ailleurs, cette dernière relation est d’évidence vraie si est multiple de Elle est donc vraie pour tout et le petit théorème de Fermat est démontré.
Section 5 – Est-ce que -1 est un carré modulo p ?
Donnons-nous un nombre premier et cherchons à quelle condition l’entier est un carré modulo c’est-à-dire à quelle condition (sur il existe un entier tel que :
Commençons par tâter le terrain en examinant de petites valeurs de :
Lorsqu’une case de la seconde ligne de ce tableau est remplie, elle indique l’une des deux racines carrées de modulo Par exemple :
Et lorsque la case est vide, alors n’est pas un carré modulo
Par exemple, n’est pas un carré modulo les seuls carrés non nuls étant
Conjecture
Il semblerait que, outre les seuls nombres premiers pour lesquels -1 est un carré modulo soient ceux congrus à 1 modulo 4.
C’est ce que nous allons maintenant établir.
➣ Dans un sens …
Si est un carré modulo (avec c’est qu’il existe vérifiant :
Il s’ensuit que est un élément d’ordre dans le groupe ce qui impose :
Autrement dit :
➣ Dans l’autre sens …
Supposons que
On va considérer le produit des éléments de et regrouper chaque facteur avec son opposé :
Comme est un entier pair, il vient :
et donc, d’après le théorème de Wilson (cf. section 3) :
ce qui prouve que est un carré modulo
Section 6 – En guise de conclusion
Nous avons regroupé trois propriétés d’arithmétique modulaire :
[1] – le théorème de Wilson
[2] – le petit théorème de Fermat
[3] – un cas particulier du critère d’Euler
- Pour [1], on regroupe chaque facteur (autre que et avec son inverse (dans le groupe
- Pour [2], on multiplie chaque facteur par un même élément de (ce qui n’altère pas le produit)
- Pour [3], on regroupe chaque facteur avec son opposé (dans l’anneau
Annexe – Le petit Fermat par récurrence
On fixe un nombre premier et l’on prouve, par récurrence, que pour tout :
Cette assertion est vraie pour
Supposons-la vraie pour un certain alors d’après la formule du binôme :
L’hypothèse de récurrence nous montre donc que :
et il suffira, pour conclure, de s’assurer que :
Pour qu’une somme d’entiers soit multiple de il n’est certes pas nécessaire que chaque terme soit multiple de mais c’est évidemment suffisant ! Or justement :
Lemme
Pour tout entier tel que :
On commence par appliquer la formule du pion (voir cet article) :
Comme est premier et vu que n’est pas multiple de alors les entiers et sont premiers entre eux. Le théorème de Gauss donne la conclusion.
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