
Dans cet article, je vous propose un tour d’horizon des principales méthodes utilisées pour établir l’injectivité ou la surjectivité d’une application. Si ces notions vous sont peu familières, les deux vidéos suivantes pourront vous aider (on y trouve les principales définitions et des exemples simples) :
☞ Correspondances, Fonctions, Applications — Partie 1
☞ Correspondances,Fonctions, Applications — Partie 2
Dans ce qui suit, les notions suivantes sont supposées connues :
ensemble, élément, application, ensemble de départ ou d’arrivée, image, antécédents.
1 – Injectivité
Définition
Etant donnés deux ensembles
ainsi qu’une application
on dit que
est injective (ou bien que
est une injection) lorsque deux éléments distincts de
possèdent nécessairement des images distinctes par ![]()
En d’autres termes,
est injective lorsque deux éléments de
ayant la même image par
sont nécessairement égaux. Cette seconde formulation (contraposée de la précédente) se formalise ainsi :
![]()
Pour les démonstrations d’injectivité, on préfère généralement recourir à cette version, car la relation d’égalité possède de « bonnes propriétés » que la relation « être différent de » ne possède pas. Notamment :
- elle est transitive (si
et
, alors
), alors que, bien entendu, les conditions
et
n’impliquent pas
. - des égalités entre nombres réels (ou complexes) peuvent être ajoutées membre à membre, alors que cette procédure est illicite avec la relation « différent de ». Par exemple :
et
mais
. Même remarque avec la multiplication membre à membre.
Bref, afin de prouver qu’une application est injective, vous devrez généralement considérer deux éléments de l’ensemble de départ possédant la même image, puis faire votre possible pour montrer qu’ils sont nécessairement égaux.
Voir à ce sujet l’article Viser la cible !… ou : Comment démontrer une implication ?
Si l’on s’autorise l’utilisation d’un diagramme sagittal (deux patates et des flèches …), la condition d’injectivité signifie que jamais deux flèches issues de l’ensemble de départ n’aboutissent en un même élément de l’ensemble d’arrivée :

2 – Exemples
Exemple 1
L’application
![]()
Exemple 2
L’application « partie entière »
![]()
En effet :
et ![]()
Avant de poursuivre, arrêtons-nous un instant sur un point de logique.

Pour justifier la non-injectivité d’une application, il suffit d’exhiber un seul couple formé de deux éléments distincts et possédant la même image.
Pour le premier exemple, j’ai choisi le couple
et pour le second, j’ai opté pour ![]()
En revanche, pour faire la preuve de l’injectivité d’une application, examiner quelques exemples ne suffira pas ! Il faut absolument considérer un couple quelconque d’éléments de l’ensemble de départ et montrer que s’ils ont la même image, alors ils sont égaux. Les deux exemples qui suivent illustrent ce point. Le premier est rudimentaire, le second est un peu plus élaboré.
Exemple 3
L’application
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$f:\mathbb{R}-\left\{ 2\right\} \rightarrow\mathbb{R},\thinspace x\mapsto\dfrac{4x-1}{x-2}$}\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-0cec7a13dc8188bda2e6084a3672242a_l3.png)
![]()
![]()
![]()
Exemple 4
Montrons que l’application
![]()
![]()
![]()
![]()
Précisons que l’application
n’est pas injective ! En effet :
mais ces deux nombres complexes ont le même cube.
Voici un cinquième exemple, plus abstrait. En outre, les ensembles de départ et d’arrivée ne sont plus des parties de
…
Exemple 5
Notons
l’ensemble des applications de
dans lui-même et intéressons-nous à l’application :
![]()

En considérant
et
on constate que
bien que
Ceci prouve que
n’est pas injective.
Maintenant, notons
la restriction de
à l’ensemble des applications affines (rappel : les applications affines sont celles de la forme
avec
arbitraire).
Soient
deux applications affines telles que ![]()
En posant, pour tout
:
![]()
Ceci prouve l’injectivité de ![]()
Remarque
On aurait pu s’intéresser aux noyaux de
et
après avoir constaté leur linéarité.
3 – Surjectivité
Définition
On dit qu’une application
est surjective (ou bien : que c’est une surjection) lorsque tout élément
de
admet (au moins) un antécédent par ![]()
Visuellement, chaque élément de l’ensemble d’arrivée doit être atteint par une flèche (au moins) provenant de l’ensemble de départ :

Voici la version formalisée de la définition :
![]()
Prouver, en appliquant cette définition, qu’une application
est surjective, consiste à se donner un élément
quelconque (dans l’ensemble d’arrivée) puis à remuer ciel et terre pour établir l’existence d’un élément
(dans l’ensemble de départ) vérifiant ![]()
Pour le dire encore autrement : il s’agit de montrer que, pour tout
l’équation
(d’inconnue
possède au moins une solution.
Dans certains cas simples, il est possible d’exhiber (au moyen d’une formule) une solution à cette équation. Par exemple, si l’on considère l’application
![]()
![]()

Ainsi,
est surjective (mais non injective, soit dit en passant, puisque les éléments de
possèdent deux antécédents par
à savoir
et ![]()
L’exemple ci-dessus doit être considéré comme exceptionnel, car le calcul explicite d’un antécédent reste en général hors de portée. Les choses deviennent alors subtiles : il faut montrer que l’équation
possède au moins une solution, mais sans pouvoir en expliciter aucune !
Par exemple, dans le cas de
il n’est pas possible de résoudre l’équation
, sauf dans des cas particuliers (
par exemple : on voit tout de suite que
convient).
On contourne cette difficulté en invoquant le théorème des valeurs intermédiaires. En effet, pour tout
l’application
est continue et ses limites en
et
sont respectivement
et
ce qui assure l’existence d’un réel
tel que
c’est-à-dire un antécédent pour ![]()
4 – Encore des exemples
Exemple 1
L’application
![]()
Exemple 2
L’application
![]()
En effet, étant donné
si
il suffit de choisir
et, si
il suffit de choisir ![]()
Ajoutons que cette application est loin d’être injective, puisque si le couple
est antécédent d’un certain
alors le couple
aussi, et ceci pour tout
Tout nombre réel possède donc une infinité d’antécédents !
Exemple 3
Notons
l’ensemble des entiers supérieurs ou égaux à 2. L’application
![]()
Ajoutons que cette application n’est pas injective puisque
et
ont la même image.
Exemple 4
Considérons enfin l’application
![]()
![]()
Voici encore un exemple où la surjectivité d’une application est établie de façon indirecte. Mais en l’occurrence, une preuve directe est facile à produire. En effet, quels que soient les réels
et
le quadruplet :
![]()
5 – On récapitule …
Marquons une courte pause et reformuleons de manière un peu différente et surtout plus synthétique, ce que nous avons vu jusqu’ici :
➡ Dire que
est injective signifie que :
tout élément de
possède au plus un antécédent par ![]()
➡ Dire que
est surjective signifie que :
tout élément de
possède au moins un antécédent par ![]()
L’écart entre les deux notions tient donc simplement au remplacement d’un mot par un autre …
Que se passe-t-il lorsqu’on superpose les deux conditions ? Autrement dit, que dire d’une application qui serait à la fois injective et surjective ?
Une telle application s’appelle, par définition, une bijection.
Observons que cette condition signifie :
- d’une part, que tout élément de l’ensemble de départ possède une image et une seule (mais cela n’est rien d’autre que la définition d’une application),
- d’autre part, que tout élément de l’ensemble d’arrivée possède un antécédent et un seul (résultat de la superposition des locutions « au plus » et « au moins »).
Une bijection est donc ce qu’on pourrait appeler une « correspondance parfaite » entre les ensembles
et
Pour en savoir davantage à ce sujet, on pourra consulter l’article Qu’est-ce qu’une bijection, au juste ?
6 – Composition d’injections ou de surjections
On considère ici trois ensembles
et
ainsi que deux applications
et ![]()
Rappelons par précaution que l’application
est appelée la composée de
par
et notée
(ce qu’on lit « v rond u »).
La proposition suivante nous apporte quatre petites propriétés à la fois très simples et très utiles :
Proposition
Injectivité ou surjectivité d’une composée :
(1) Si
et
sont injectives, alors
aussi.
(2) Si
et
sont surjectives, alors
aussi.
(3) Si
est injective, alors
aussi.
(4) Si
est surjective, alors
aussi.
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Pour (1) : si
sont tels que
alors
(car
est injective) et donc
(car
est injective). Ceci prouve l’injectivité de ![]()
Pour (2) : si
alors il existe
tel que
(car
est surjective) puis (comme
est surjective) il existe
tel que
Ainsi
et ceci prouve la surjectivité de ![]()
Pour (3) : si
sont tels que
alors
et donc, comme
est injective, il s’ensuit que
Ceci montre l’injectivité de ![]()
Enfin, pour (4) : si
alors il existe par surjectivité de
un élément
tel que
En posant
on constate que
et que
ceci montre la surjectivité de ![]()
Avec les mêmes notations, on en déduit des points (3) et (4) précédents que :
Corollaire
Si
est bijective, alors
est injective et
et surjective.
Un cas particulier important est celui où
vérifie
, c’est-à-dire :
![]()
Une telle application est dite involutive (on dit aussi qu’il s’agit d’une involution).
Vu que l’application identique est bijective, on voit qu’une involution est nécessairement injective et surjective, donc bijective.
7 – Injectivité et stricte monotonie
Limitons nous ici au cas d’une application
où
sont deux parties non vides de ![]()
Rappelons que
est dite strictement croissante lorsque, pour tout couple
d’éléments de
l’hypothèse
entraîne ![]()
La stricte décroissance est définie de manière analogue et
est dite strictement monotone lorsqu’elle est soit strictement croissante, soit strictement décroissante.
De manière évidente :
Proposition
Dans le contexte défini ci-dessus, la stricte monotonie entraîne l’injectivité.
Ce résultat, bien que rudimentaire, est très utile. C’est ainsi que l’injectivité de l’application
![]()
Quant à la réciproque de l’implication
![]()

- Considérons deux entiers naturels
distincts et envisageons deux cas, pour montrer qu’ils possèdent des images distinctes :- Si
et
sont de même parité, alors leurs images respectives sont
et
(s’ils sont tous deux pairs) ou bien
et
(s’ils sont tous deux impairs) donc sont distinctes. - Si
et
sont de parités contraires, alors c’est encore le cas de leurs images (car ajouter ou retrancher 1 à un entier inverse sa parité), qui sont donc distinctes.
- Si
- Comme
et
on voit que
n’est pas croissante. Et comme
et
on voit qu’elle n’est pas décroissante non plus.
Le premier point montre que la suite
est injective, et le second qu’elle est non monotone (plus précisément, elle n’est monotone à partir d’aucun rang).
La situation serait-t-elle différente sans le cas où
et
sont des intervalles ? L’exemple qui suit montre que non …

Cette application est une involution donc d’une bijection (voir fin de la section 6) et, en particulier, une injection. Pour autant,
n’est pas strictement monotone. En effet :
et
donc
n’est pas strictement décroissante,
et
donc
n’est pas strictement croissante.
Toutefois, un joli théorème nous apporte une réciproque partielle :
Théorème
Si
est un intervalle (de longueur non nulle) et si
est continue et injective, alors
est strictement monotone.
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Soient
tels que
. Comme
est injective, alors
Supposons dans la suite de cette preuve que
et montrons que
est strictement croissante (dans le cas où
il suffit d’appliquer ce qui va suivre à
pour conclure que
est strictement croissante, et donc que
est strictement décroissante).
Soient
tels que ![]()
Afin de prouver que
considérons l’application auxiliaire :
![]()
Dans le cas contraire, il existerait
tel que :
![]()
![]()
![]()
Mais
Or,
donc
soit finalement : ![]()
8 – Dans un sens ou dans l’autre …
La proposition suivante indique un lien intéressant entre les notions d’injectivité et de surjectivité :
Proposition
Soient
et
deux ensembles non vides. Alors l’existence d’une injection
équivaut à l’existence d’une surjection ![]()
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Supposons l’existence d’une injection
On peut alors construire une surjection
de la manière suivante. On commence par choisir un élément
Pour chaque élément
de
on envisage deux cas :
- si
possède un antécédent par
on sait que celui-ci est unique (hypothèse d’injectivité). Notons-le
et posons : 
- si
ne possède pas d’antécédent par
posons 


L’application
ainsi définie est surjective puisque ![]()
Supposons maintenant l’existence d’une surjection
Pour chaque élément
choisissons l’un ses antécédents (il en existe : hypothèse de surjectivité) et notons-le
(et ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : nous sommes en train d’utiliser l’axiome du choix).


L’application
ainsi définie est injective puisque ![]()
Dans le cas d’ensembles finis, l’existence d’une injection
équivaut à la condition
Rappelons que le nombre d’éléments d’un ensemble fini
est appelé le cardinal de
et noté ![]()
De même, l’existence d’une surjection
équivaut à la condition
Ceci rend évidente la proposition ci-dessus, au moins pour des ensembles
finis. Et il est intéressant de noter que sa validité persiste en général (pour des ensembles non supposés finis).
Cette remarque peut en évoquer une autre, à savoir que (toujours pour des ensembles finis) l’existence simultanée d’une injection
et d’une injection
se traduit par une double inégalité entre les cardinaux, autrement dit par l’équipotence des deux ensembles
et
(deux ensembles sont dits équipotents lorsqu’il existe une bijection de l’un vers l’autre. Dans le cas d’ensembles finis, cette condition équivaut à l’égalité des cardinaux). Là encore, il est frappant de constater que la propriété reste vraie pour des ensembles non supposés finis, mais la preuve est beaucoup plus délicate. Pour en savoir plus à ce sujet, on pourra consulter l’article le théorème de Cantor-Bernstein-Schröder.
9 – Intervention d’une hypothèse de finitude
Rappelons qu’un espace vectoriel
est dit « de dimension finie » lorsqu’il est engendré par une famille finie de vecteurs. On montre alors qu’il existe des familles finies qui sont à la fois libres et génératrices de
Ces sont les bases de
En outre, toutes les bases sont composées d’un même nombre
de vecteurs. Cet entier
est appelé la dimension de
et noté ![]()
Voici deux propositions « jumelles », données ici sans démonstration (la seconde est un corollaire bien connu du théorème du rang) :
Proposition ✧
On considère deux ensembles finis
On suppose que
et l’on considère une application
Alors :
![]()
Proposition ✦
On considère deux espaces vectoriels
et
(sur un même corps
On suppose qu’ils sont de même dimension finie et l’on considère une application linéaire
Alors :
![]()
Donnons, pour chacune de ces propositions, deux exemples d’utilisation :
Exemple ✧1
Soient
deux entiers naturels non nuls, premiers entre eux (c’est-à-dire tels que ![]()
On note classiquement
l’ensemble des entiers de 1 à
et l’expression
désigne (non moins classiquement) le reste de la division euclidienne de
par ![]()
Montrons que l’application
![]()
Avant toute chose, rappelons que
pour tout entier
ce qui montre que
est bien à valeurs dans ![]()
Pour prouver la surjectivité de
l’idée consiste à établir plutôt son injectivité, puis à invoquer la proposition ✧ …
Soient donc
tels que :
![]()
![]()
Exemple ✧2
Considérons un groupe fini
de cardinal impair et notons
son élément neutre. Montrons que :
![]()
Introduisons l’application
![]()
Il s’agit d’établir sa bijectivité.
Etant donné
l’ordre
de
est impair puisque c’est un diviseur de
Notons
et posons
Vu que
(conséquence du théorème de Lagrange ! Voir à ce sujet la vidéo
Théorème de Lagrange et ordre d’un élément dans un groupe fini), on constate que :
![]()
Exemple ✦1
Fixons un entier
et considérons deux sous-espaces vectoriels de l’espace
des matrices carrées réelles de taille
:
- l’ensemble
des matrices triangulaires supérieures - l’ensemble
des matrices symétriques
L’application :
![]()
Si
appartient au noyau, alors
est à la fois triangulaire supérieure et antisymétrique, donc nulle. De ce fait,
est injective et donc bijective puisque :
![]()
Terminons avec un exemple tiré du cours d’algèbre bilinéaire …
Exemple ✦2
Soit
un espace vectoriel euclidien, c’est-à-dire un
espace vectoriel de dimension finie, muni d’un produit scalaire. Le produit scalaire de deux vecteurs
est noté ![]()
On note encore
le dual de
c’est-à-dire l’espace des formes linéaires sur ![]()
Dans ce contexte, considérons l’application linéaire
![]()
Si
alors
pour tout
En particulier
et donc
Ceci montre que
est injective.
Mais comme
il s’ensuit que
est surjective.
Ainsi,
est un isomorphisme (appelé isomorphisme canonique entre un espace vectoriel euclidien et son dual).
Ce thème est abordé plus en détail dans l’exercice n° 2 de la fiche Exercices sur le produit scalaire – 01
J’espère que cet article vous aura permis de mieux maîtriser les méthodes de base pour montrer qu’une application est (ou n’est pas) injective ou surjective.
N’hésitez pas à me laisser vos questions et remarques en commentaires ou bien en passant par le formulaire de contact.
