L’objet de cet article est d’établir de deux manières la célèbre identité :
dans laquelle et désignent les fonctions Bêta et Gamma d’Euler.
Afin de ne rien laisser dans l’ombre, les définitions de ces deux fonctions dites « spéciales » vont d’abord être rappelées et quelques unes de leurs propriétés de base seront démontrées, après quoi on entrera dans le vif du sujet.
De manière anecdotique, cette formule peut servir à prouver que, si l’on pose alors pour tout réel :
Ce résultat, très classique lorsque est entier, est toutefois moins connu dans le cas général. Il fait l’objet de cette vidéo :
Note tardive : pour prouver que est contamment égal à , on peut aller beaucoup plus vite ! Comme expliqué dans la vidéo, une IPP prouve que l’application est 1-périodique. Il suffit donc de prouver qu’elle admet en une limite finie pour conclure qu’elle est constante. Or, d’une part, est décroissante et, d’autre part, que (pour entier) : . Donc, en encadrant le réel par ses parties entières (par défaut et par excès) :
d’où l’on tire que
1 – Les fonctions Bêta et Gamma
On doit à Euler l’introduction des fonctions (bêta majuscule) et (gamma majuscule) définies par :
même si ces notations ne sont pas les siennes. C’est en effet Jacques Binet (1786 – 1856) et Adrien-Marie Legendre (1752 – 1833), respectivement, qui ont proposé de noter ainsi ces intégrales à paramètres.
Commençons par vérifier la validité de ces définitions.
Si et alors l’intégrale est celle d’une brave fonction continue sur un segment. Mais si cette intégrale devient impropre pour la borne 0 et, de même, elle devient impropre pour la borne 1 si Lorsque l’équivalent montre que l’intégrale est de même nature que donc convergente si, et seulement si, On voit de même que converge si, et seulement si, Moralité, le domaine de définition de est
De même, on précise la nature l’intégrale en coupant l’intervalle d’intégration en deux : ceci permet de traiter séparément le problème en et celui en
D’une part et donc l’intégrale converge si, et seulement si,
D’autre part et donc l’intégrale converge pour tout Ainsi, le domaine de définition de est
Afin d’approfondir les questions de convergence et de calcul des intégrales impropres, on pourra éventuellement consulter cet article.
2 – Une formule pour Bêta (parmi tant d’autres)
Si l’on pose dans l’intégrale qui définit on voit aussitôt que :
Autrement dit, est une fonction symétrique. Par ailleurs, il est naturel de relier et au moyen d’une intégration par parties. Si l’on pose :
on voit que :
En écrivant artificiellement il apparaît que :
On dispose ainsi des égalités :
En éliminant entre ces deux relations, on obtient :
3 – Équation fonctionnelle pour Gamma
Pour si l’on intègre par parties en posant :
il vient :
Ensuite, en faisant tendre vers et vers on obtient :
Cette équation fonctionnelle explique que certains appellent la « fonction factorielle ». En effet, comme une simple récurrence donne :
Autrement dit, la fonction apporte un prolongement de la factorielle à tous les réels strictement plus grands que
Par exemple, si l’on connaît la valeur de l’intégrale de Gauss, on peut évaluer aux nombres demi-entiers (et donc, donner du sens à la factorielle d’un demi-entier). En effet, pour tout l’équation fonctionnelle précédente donne :
Or, comme on le voit en posant :
Finalement :
4 – La formule d’Euler
C’est au cours d’un échange épistolaire avec Christian Goldbach, vers 1729 – 1730, qu’Euler adopta la formule ci-dessous comme définition de ce qui devait s’appeler par la suite la fonction :
()
Selon le point de vue moderne (adopté dans cet article), la formule doit bien sûr être démontrée ! Elle va découler du lemme suivant.
Lemme
Pour tout :
Le plus rapide consiste sans doute à utiliser le théorème de convergence dominée. Fixons et posons, pour tout :
Chaque est continue (les limites à gauche et à droite de en sont nulles), positive et intégrable (car majorée par qui est intégrable, ce qui donne au passage la condition de domination). Par conséquent :
On peut aussi s’en sortir avec des petits moyens (mais c’est plus long …). On va s’appuyer sur la majoration :
dont une preuve détaillée est consultable en annexe.
Après multiplication par puis intégration sur :
c’est-à-dire :
Or, l’application est continue et possède en une limite finie (nulle); elle est donc bornée :
Ainsi :
où l’on a posé Ceci entraîne que :
Finalement :
puisque (reste d’une intégrale convergente). Le lemme est établi.
Passons à la preuve de la formule Partons de la relation :
déjà rencontrée au début de la section 2. En remplaçant par un entier on en déduit par une récurrence immédiate :
Or de sorte que :
()
Par ailleurs, en posant :c’est-à-dire :
()
En confrontant les égalités et il apparaît que :En appliquant le lemme, on peut maintenant conclure :
5 – Lien entre Bêta et Gamma
Nous abordons maintenant la formule annoncée en début d’article :
Deux approches sont envisagées …
Via Fubini-Tonnelli
Soient Le produit se présente naturellement sous la forme :
Dans l’intégrale interne, posons :
Astuce classique, on peut « forcer » l’intervalle d’intégration à ne pas dépendre de :
On invoque alors le théorème de Fubini-Tonnelli pour intervertir les deux intégrales :
On pose alors dans l’intégrale interne :
Via la log-convexité
Rappelons qu’une application définie sur un intervalle, à valeurs dans est dite log-convexe lorsque est convexe. Cette notion de log-convexité intervient dans le théorème ci-dessous, qui fournit une caractérisation de la fonction :
Théorème de Bohr-Mollerup
Soit une application log-convexe.
Si de plus et si alors
Une preuve de ce théorème est proposée dans le dernier exercice de cette fiche .
Fixons et posons pour tout :
D’évidence, est bien définie sur et à valeurs strictement positives. De plus :
et pour tout :
Donc, d’après d’après l’équation fonctionnelle de et la seconde formule établie à la section 2 :
Enfin, d’après Cauchy-Schwarz, est log-convexe et le produit de deux fonctions log-convexes est log-convexes (immédiat), donc est log-convexe. Finalement
Autrement dit :
Remarque
A la fin de la section 3, on a vu comment la connaissance de l’intégrale de Gauss permettait de calculer et donc pour tout On peut aussi cheminer en sens inverse et déduire la valeur de de l’étude de la fonction En prenant dans formule encadrée ci-dessus, on trouve en effet :
Or d’une part et, d’autre part :
c’est-à-dire, en posant :
Ainsi : c’est-à-dire :
Pour finir, si l’on pose dans cette dernière intégrale, on retrouve :
6 – Annexe
On prouve ici la majoration :
qui a été utilisée pour prouver le lemme de la section 3.
L’application est décroissante puisque :
Comme on voit que est négative, c’est-à-dire :
()
Par ailleurs, en choisissant dans l’identité remarquable :on obtient :
Or, si :
d’où, en multipliant par (qui est un réel positif) :
et donc, d’après :
Pour finir, en remplaçant par (qui appartient à si l’on suppose il vient :
comme souhaité.
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