Avertissement – Dans ce texte, quelques unes des propriétés des coefficients binomiaux sont utilisées, notamment la formule du binôme de Newton ou encore celle qui exprime la symétrie de ces coefficients.
Il pourra donc être utile, au préalable, d’aller jeter un coup d’œil à cet article.
On examine ici quelques questions de combinatoire, qui gravitent autour du dénombrement des parties d’un ensemble fini.
Pour commencer, on fixe un cadre et quelques notations.
E désignera un ensemble fini. On notera n son cardinal (c’est-à-dire le nombre d’éléments de E). Les sous-ensembles de E, qu’on appelle aussi les parties de E, forment un ensemble noté
Si k est un entier compris entre 0 et n, alors les parties de E ayant pour cardinal k forment un sous-ensemble de noté Par définition (cf. l’article signalé plus haut) :
1 – Combien de parties ?
Pour dénombrer les parties de E, c’est-à-dire calculer le cardinal de , on envisagera les trois points de vue suivants :
➡ Premier point de vue [ en bref ]
En examinant de petites valeurs de on peut aisément conjecturer la formule correcte, puis l’établir rigoureusement par récurrence.
➡ Second point de vue [ en bref ]
On peut s’appuyer sur le fait que est l’union disjointe des pour passer aux cardinaux puis utiliser la formule du binôme.
➡ Troisième point de vue [ en bref ]
On peut mettre en bijection avec un ensemble, dont le cardinal est déjà connu.
Le premier et le troisième point de vue sont exposés dans cette vidéo. Tous trois sont détaillés dans la suite de cet article.
Premier point de vue
➡ Si , autrement dit si alors possède une seule partie, à savoir
➡ Si ( est un singleton), alors possède deux parties, à savoir et
➡ Si ( est une paire), alors on voit, en notant que possède quatre parties :
Effectuons un pas de plus …
➡ Si , alors en notant il apparaît que possède huit parties, à savoir :
Or il se trouve que :
il est donc tentant de formuler une …
Conjecture
Si est un ensemble de cardinal alors :
Une conjecture qui va rapidement se métamorphoser en théorème !
Prouver cela, rien de tel qu’une bonne vieille récurrence.
Concernant la notion de preuve par récurrence, je vous invite (si besoin) à consulter cet article et / ou cet article plus avancé.
Notons l’assertion selon laquelle tout ensemble de cardinal possède parties.
Nous avons vu plus haut que l’assertion est vraie en constatant que l’ensemble vide possède une seule partie ! Ceci initialise la récurrence et l’on peut passer à la preuve de l’hérédité.
Supposons vraie pour un certain et soit un ensemble de cardinal
Notons un élément de et distinguons, parmi les parties de :
➣ celles qui contiennent
➣ celles qui ne contiennent pas
Plus précisément, notons l’ensemble des parties de qui contiennent
Alors, l’application
est une bijection. En effet, en considérant on constate que :
ce qui prouve que et sont bijectives (et réciproques l’une de l’autre).
Par conséquent :
Quant à l’ensemble des parties de qui ne contiennent pas il s’agit de et l’hypothèse de récurrence permet d’affirmer que
Pour finir, comme le cardinal de l’union de deux ensembles finis et disjoints est égal à la somme de leurs cardinaux :
c’est-à-dire comme souhaité.
Second point de vue
Pour tout le nombre de parties de qui sont de cardinal est donné par :
Or, il est clair que :
où est le symbole pour l’union disjointe. Par conséquent :
On invoque à présent la formule du binôme, pour conclure que :
Troisième point de vue
On peut montrer que si et sont deux ensembles finis, alors il existe exactement applications de vers C’est d’ailleurs de là que provient la notation pour désigner l’ensemble de ces applications (même lorsque l’un au moins des ensembles ou est infini).
Pour toute partie de on définit sa fonction indicatrice, à savoir l’application qui, à tout associe 1 si et 0 dans le cas contraire.
En associant sa fonction indicatrice à chaque partie de , on définit l’application :
Si l’on prouve que est bijective, il en résultera que :
Pour cela, on peut considérer l’application :
où désigne l’image réciproque du singleton par c’est-à-dire l’ensemble des éléments de dont l’image par est 1.
Si vous n’êtes pas à l’aise avec la notion d’image directe ou réciproque d’une partie par une application, je vous invite à lire (ou au moins à parcourir) cet article.
Il est alors facile de se convaincre que :
et ceci entraîne que et sont des bijections (chacune étant la réciproque de l’autre : cet argument a déjà été utilisé, dans un autre contexte, pour le premier point de vue).
La démonstration est terminée, mais il se peut que vous la trouviez un peu trop abstraite… Si tel est le cas, pas de panique ! Je vais essayer de rendre les choses plus « visuelles ».
Envisageons le cas particulier où est de cardinal 3 et posons : L’ensemble est donc de cardinal 8 (cf. début de cette section). Cet ensemble est représenté ci-dessous dans le cadre de gauche.
Quant à l’ensemble il comporte aussi 8 éléments : ce sont les applications de vers représentées chacune par un petit diagramme à l’intérieur du cadre de droite.
A chacune des huit parties de , représentées en bleu dans les cases du cadre de gauche, l’application associe sa fonction indicatrice, qui est une application de vers représentée (également en bleu) dans la case homologue (même ligne et même colonne) du cadre de droite.
Par exemple, la partie apparaît à la ligne 3 / colonne 1 du cadre de gauche et sa fonction indicatrice apparaît au même emplacement de celui de droite.
2 – Combien de parties de cardinal pair ?
Une question, voisine de la précédente, consiste à dénombrer les parties de qui sont de cardinal pair. Deux points de vue sont envisagés ci-dessous.
Premier point de vue
On sait que, pour tout le nombre de parties de de cardinal est Par conséquent, le nombre de parties de cardinal pair est :
où désigne le plus grand entier pair et inférieur ou égal à Autrement dit :
De la même façon, le nombre de parties de cardinal impair est :
où désigne le plus grand entier impair et inférieur ou égal à Autrement dit :
Il ne « reste plus qu’à » calculer ces deux sommes, ce qui va pour l’essentiel reposer sur la formule du binôme. En effet :
Mais cette seule relation ne suffit pas pour calculer les deux entiers et Il nous en faut une seconde ! La voici :
Et là : attention ! Pour affirmer que encore faut-il supposer que (car pour cette expression vaut
En ajoutant et en retranchant membre à membre les égalités et on obtient :
Remarque
Il existe donc, dans tout ensemble fini et non vide, autant de parties de cardinal pair que de parties de cardinal impair.
Quant au cas où il se traite à part. Et il est clair que (l’ensemble vide est la seule partie de cardinal pair de l’ensemble vide) et (il n’existe, dans l’ensemble vide, aucune partie de cardinal impair !).
Je vous propose de réfléchir à la question suivante :
Exercice
En vous inspirant des calculs ci-dessus, sauriez-vous trouver une formule pour le nombre de parties dont le cardinal est multiple de 3 ?
Tiens ! Je pense que cette question mérite d’être posée dans la rubrique Challenges.
Hop , c’est fait !
🙂
Second point de vue
Notons l’ensemble de parties de qui sont de cardinal pair.
De même, notons l’ensemble de parties de qui sont de cardinal impair.
D’une part (union disjointe) :
et donc (cf. définitions de et données plus haut) :
D’autre part, on va montrer [ cf. détail ci-dessous ] que si alors il existe une bijection de vers ce qui entraînera :
Et de la combinaison de ces deux relations, on déduira aussitôt (comme on l’a fait dans le premier point de vue) que :
Il reste donc à expliquer cette histoire de bijection…
Observation-Clef
Si l’on crée un ensemble en adjoignant à un ensemble fini un nouvel élément, ou bien en retirant un élément à alors les cardinaux de et de sont de parités contraires.
Après avoir fixé un élément de (ce qui sous-entend évidemment que n’est pas vide), on peut considérer l’application :
Il est clair (selon l’observation-clef) que induit d’une part une application ainsi qu’une application
On constate que :
ce qui prouve (notamment) le caractère bijectif de
3 – Couples de parties disjointes
Autre question classique, toujours en rapport étroit avec ce qui précède : combien peut-on former de couples de parties de vérifiant ?
Comme toujours avec ce genre de questions, les techniques générales de combinatoire, vont nous être d’un grand secours. Pour commencer, on va classer les couples en question selon le cardinal de
Notons donc :
et
de sorte que :
Notons aussi, pour tout :
Dire qu’une partie de ne rencontre pas revient à dire qu’elle est incluse dans le complémentaire de Ainsi :
Ce dernier ensemble est en bijection avec donc Et comme :
il en résulte que :
d’où :
et finalement, d’après la formule du binôme :
Afin, d’illustrer ce résultat, voici lorsque la liste des couples de parties disjointes d’un ensemble à trois éléments.
Si alors :
Pfouhh ! Compliqué, celui-là … 😅
4 – Nombre de partitions
Rappelons qu’une partition de est un ensemble de parties non vides de deux à deux disjointes et dont l’union est égale à (ce qui suppose évidemment que ).
Il n’est pas difficile de déduire de ce qui précède le calcul du nombre de partitions en deux parties d’un ensemble de cardinal
En effet, il existe couples de parties disjointes comportant à savoir :
→ les couples du type avec
→ les couples du type avec
→ le couple
Par différence, il nous reste couples de parties non vides et disjointes. Comme aucun de ces couples n’est de la forme il suffit de diviser ce nombre par 2 pour obtenir ce qu’on cherche : il faut bien voir, en effet, qu’un couple est une structure ordonnée tandis qu’une partition ne l’est pas (une partition est un ensemble) : par exemple, les couples et sont distinctes, mais et représentent une seule et même partition de
On conclut ainsi :
Et quel est le nombre total de partitions de ?
Cette question est plus délicate. Et annonçons toute de suite la couleur : nous n’obtiendrons pas de formule explicite pour le nombre de partitions d’un ensemble de cardinal (cet entier est appelé : ème nombre de Bell). Nous devrons nous contenter d’une formule de récurrence…
Fixons un élément et mettons de côté la partition réduite à Toutes les autres partitions se composent d’au moins 2 parties, dont l’une exactement contient Notons cette partie et posons avec Pour chaque entier
donné, on peut choisir de façons (c’est une quelconque partie de de cardinal et qui contient Et pour chaque tel choix, il faut encore compléter la partition, ce qui peut se faire de façons (puisque cela revient à partitioner qui est de cardinal
Au total :
Ré-indexons en posant Il vient :
Si l’on pose par convention, cette formule de récurrence (forte) prend la forme :
Avec ce joli résultat en poche, on peut calculer la valeur de pour de petites valeurs de :
Voici une illustration montrant les 5 partitions d’un ensemble à 3 éléments :
Et en voici une autre, montrant les 15 partitions d’un ensemble à 4 éléments :
Tout un tas de questions jaillissent ici ! Peut-on calculer les plus efficacement que par l’intermédiaire de la formule de récurrence encadrée plus haut ? Peut-on décrire le comportement asymptotique de la suite des nombres de Bell ? Peut-on la relier, ou au moins la comparer à une autre suite similaire (comme celle des nombres de Catalan) ?
Peut-être dans un prochain article, qui sait ?
Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.