
Voici deux formules célèbres :
Formule du binôme de Newton
Pour tout entier naturel et tout couple
de nombres réels :
()
Formule de Leibniz
Soit un intervalle de
(ni vide ni réduit à un singleton).
Pour tout entier naturel et tout couple
de fonctions indéfiniment dérivables sur
:
()
Si est
fois dérivable, sa dérivée
ème est notée
Les parenthèses autour de l’exposant permettent d’éviter toute confusion avec une puissance ordinaire (produit de
fonctions égales à
ou avec une itérée (composée de
par elle-même,
fois).
La ressemblance formelle entre les formules et
est assez frappante !
- Comment expliquer cela ?
- Peut-on déduire chacune d’elles à partir de l’autre ?
- Ces deux formules peuvent-elles être vues comme des cas particuliers d’un résultat plus général ?
Telles sont les questions que je vous propose d’aborder dans cet article.
Une version abrégée de cette question est aussi consultable sur HighKholle
1 – Preuve classique de 
La formule du binôme se démontre généralement par récurrence.
On trouvera par ici une preuve détaillée, que je vous suggère vivement d’étudier avant de poursuivre la lecture de cet article.
Mais on aura besoin, dans la suite, d’une version plus générale de ce résultat :
Formule du binôme dans un anneau
Soit un anneau et soit
un couple d’éléments de
vérifiant
On dit que et
commutent.
Alors, pour tout :
Rappelons à toutes fins utiles que, par définition d’un anneau :
- l’opération
est commutative, associative et possède un élément neutre (qu’on peut noter
En outre, tout
possède un symétrique pour l’opération
(c’est l’opposé de
noté
- l’opération
est associative et possède un élément neutre (qu’on peut noter
De plus, l’opération
est distributive à gauche et à droite sur l’opération
Enfin, si et
alors
désigne, par définition :
La démonstration de cette version plus générale se fait par récurrence, tout comme dans le champ réel… mais sauriez-vous expliquer précisément où intervient l’hypothèse de commutation ?
2 – Preuve classique de 
Nous démontrons dans cette section la formule de Leibniz, en procédant par récurrence.
Un intervalle non trivial est fixé une fois pour toutes.
On considère, pour tout l’assertion suivante :
Assertion 
Pour tout couple d’applications indéfiniment dérivable sur
:
➣ L’assertion est évidemment vraie, puisque
: on ne dérive pas, tout simplement.
➣ Supposons vraie pour un certain
et considérons un couple
d’applications indéfiniment dérivables sur
En dérivant une fois la formule au rang
on obtient, par linéarité de la dérivation :


Remarque 1
Si vous avez en tête la preuve par récurrence de la formule du binôme, vous devez bien sentir qu’on a essentiellement refait la même chose… d’où l’idée de chercher une connexion entre les deux résultats : c’est ce qui motive le présent article.
Remarque 2
Il existe une meilleure version de la formule de Leibniz, dans laquelle les fonctions et
sont supposées seulement
fois dérivables. J’ai choisi de me limiter au cas où
et
sont indéfiniment dérivables, afin de simplifier la présentation.
3 – Déduire
de
: astucieux mais simple
Considérons deux réels ainsi que les applications
définies par :





Supposons connue la formule de Leibniz et appliquons-la à ce couple Il vient, pour tout
et pour tout
:

On a démontré la formule du binôme (dans le champ réel) en partant de la formule de Leibniz.
Et dans l’autre sens ? Voyons …
4 – Déduire
de
: pas commode !
A présent, on suppose connue la formule du binôme dans un anneau (c’est-à-dire la version générale décrite à la section 1).
Considérons le -espace vectoriel
et l’anneau
Les vecteurs de sont donc les applications indéfiniment différentiables de
dans
Quant aux éléments de ce sont les endomorphismes de
Parmi eux se trouvent les endomorphismes de dérivation partielle
et
, qui commutent d’après le théorème de Schwarz .
On peut donc appliquer la formule du binôme :
()

ATTENTION !
Les deux membres de l’égalité ci-dessus appartiennent à l’anneau
Etant données de classe
appliquons
à
définie par :





Pas commode, en effet … mais on a bien établi la formule de Leibniz en partant de la formule du binôme.
Remarque
En mathématiques, il est fréquent qu’un « élargissement du contexte » permette de démontrer confortablement un résultat qui s’énonce a priori dans un contexte plus restreint. Par exemple, une somme de nombres réels peut parfois être calculée plus commodément en étant considérée comme la partie réelle ou imaginaire d’une somme de nombres complexes. Cette situation apparaît par exemple à l’exercice n° 6 de cette fiche d’exercices.
C’est ce qui s’est produit dans la preuve de la formule de Leibniz qu’on vient de voir : un problème concernant des fonctions d’une seule variable a été résolu en passant par un contexte plus large, faisant intervenir des fonctions de deux variables !
5 – On prend de la hauteur…
Dans l’introduction, nous nous sommes demandés s’il existait un résultat général englobant les formules et
comme des cas particuliers. Voici un élément de réponse :
Lemme
Soit un anneau commutatif.
On considère un module
ainsi qu’un morphisme
.
Si est une famille d’éléments de
vérifiant :
La preuve se fait par récurrence sur via la formule de Pascal pour les coefficients binomiaux, exactement selon le modèle déjà expliqué plus haut.
Voici maintenant deux cas particuliers qui nous intéressent :
Cas particulier n° 1
Etant donné un anneau commutatif :
- on choisit
et l’on fixe
- on choisit
- on pose
pour tout
➣ on retrouve la formule du binôme (dans le cas d’un anneau \textbf{\emph{commutatif}}).
Cas particulier n° 2
Avec :
- on choisit
où
est un intervalle non trivial et l’on fixe
- on choisit
(morphisme de dérivation)
- on pose
pour tout
➣ on retrouve la formule de Leibniz.
Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.
Wha plutôt chouette ! merci pour l’article