Ce qui suit suppose connues les propriétés de base des coefficients binomiaux. On pourra au besoin se reporter à cet article.
Par définition, le ème coefficient binomial central est l’entier :
Il est évidemment dénommé ainsi en raison de sa position dans le triangle de Pascal (les premières valeurs de apparaissent en rouge dans le tableau ci-dessous) :
Nous allons examiner quelques unes des nombreuses propriétés de cette suite d’entiers, en commençant par ce qu’il y a de plus simple : la parité.
1 – Parité des coefficients binomiaux centraux
Rappelons la formule de Pascal. Pour tout couple d’entiers tel que :
Il en résulte, en appliquant ceci au couple que :
Mais d’après la formule de symétrie :
et donc :
ce qui prouve la parité de Noter que pour cet entier est impair (il vaut 1).
Remarque
2 – Un résultat plus précis
Intéressons-nous, pour tout à l’exposant de dans la décomposition en facteurs premiers de Notons cet entier. Nous venons de voir que mais il est naturel de se demander s’il est possible de calculer explicitement
Pour cela, nous allons utiliser la formule de Legendre (dont une preuve détaillée est disponible dans l’annexe de cet article). Rappelons de quoi il s’agit :
Formule de Legendre / Version 1
Pour tout entier et tout nombre premier l’exposant de dans la décomposition en facteurs premiers de est donné par :
Dans cette formule, désigne la partie entière du réel C’est ainsi que, par exemple, l’exposant de dans la décomposition en facteurs premiers de est :
(les termes suivants sont nuls), c’est-à-dire :
Autrement dit, l’entier est de la forme avec impair. Mais revenons à notre sujet …
Comme la valuation adique est additive (ce qui veut simplement dire que pour tout couple d’entiers naturels non nuls), on voit que :
Afin de poursuivre notre calcul, nous avons besoin d’une autre version de la formule de Legendre, à savoir :
Formule de Legendre / Version 2
Pour tout entier et tout nombre premier :
où désigne la somme des chiffres de l’écriture de en base
Si la notion d’écriture en base n’est pas claire pour vous, surtout pas de panique !… Tout est expliqué dans ces deux vidéos :
Quant à la preuve de cette seconde version de la formule de Legendre, les curieux la trouveront à l’annexe 1.
Avec ce nouvel outil, on constate que :
Enfin, lorsqu’on écrit un entier en base 2, il est très simple de le multiplier par 2 : il suffit d’ajouter un zéro à la fin, ce qui ne modifie évidemment pas la somme des chiffres binaires ! Par conséquent :
et finalement :
En résumé, nous avons établi le :
Théorème
Pour tout entier l’exposant de 2 dans la décomposition en facteurs premiers de est donné par le nombre de 1 dans l’écriture binaire de
On notera que le nombre de 1 dans l’écriture binaire de est évidemment égal à la somme des chiffres binaires de
Un exemple, juste pour voir … Choisissons On calcule :
puis on décompose en binaire :
et donc, l’exposant de dans la décomposition en facteurs premiers
de est :
On peut confirmer cela en observant que :
Dans cette décomposition en facteurs premiers, on voit bien que l’exposant de 2 vaut 4.
Corollaire
Une condition nécessaire et suffisante pour que soit de la forme avec impair, est que soit une puissance de 2.
En effet, cette condition signifie que l’exposant de 2 dans la décomposition en facteurs premiers de est égal à 1, ou encore que l’écriture binaire de comporte exactement une fois le chiffre 1. Les entiers vérfifiant cette dernière condition sont évidemment les puissances de 2.
3 – Quatre formules pour le n-ème coefficient binomial central
Nous allons établir les formules suivantes :
()
()
()
()
Cette courte liste n’a évidemment rien d’exhaustif ! Il existe une foule de formules donnant une expression plus ou moins exotique du ème coefficient binomial central.
Preuve de la formule n° 1
D’après la formule du binôme, l’entier s’interprète naturellement comme le coefficient de dans l’expression développée du polynôme Par ailleurs :
et donc, ce coefficient peut aussi s’écrire :
On invoque alors la symétrie des coefficients binomiaux, pour conclure que :
Preuve de la formule n° 2
Cette question a fait l’objet du challenge 75. Le lecteur est prié de s’y reporter.
Preuve de la formule n° 3
Cette question est traitée dans cette vidéo (en anglais 🇺🇸🇬🇧) :
Mais donnons tout de même une preuve détaillée (en français 🙂)…
Pour tout notons le coefficient de dans l’expression développée du polynôme :
D’une part (formule du binôme) :
et donc :
Et d’autre part :
d’où (d’après la symétrie des coefficients binomiaux) :
En remplaçant par on conclut que :
Il reste à multiplier chaque membre par pour obtenir :
Preuve de la formule n° 4
Cette fois, considérons plutôt le polynôme :
D’une part :
et d’autre part :
Or, on sait que :
et donc, après interversion des sommes :
Pour finir, en effectue un petit changement d’indice en posant dans la somme interne, ce qui donne :
Il ne reste plus qu’à extraire le coefficient de pour obtenir :
Remarque
Cette dernière formule redonne (mais d’une manière bien compliquée !) la parité de qui a été établie au tout début du présent article.
En effet, si est impair, alors tous les termes de la somme sont pairs et donc aussi. Et si est pair, alors tous les termes sont pairs sauf peut-être celui d’indice par conséquent, est de la même parité que En posant avec impair, une récurrence immédiate montre que
est de la même parité que donc est pair.
4 – Fonction génératrice de la suite des coefficients binomiaux centraux
Il est connu que pour tout et pour tout :
où désigne la coefficient binomial généralisé, défini par :
En choisissant et en remplaçant par on voit que pour tout :
Or :
et ce dernier produit peut s’écrire (en bouchant les trous, c’est-à-dire en multipliant et en redivisant aussitôt par le produit des entiers pairs de 2 à :
Par conséquent :
et finalement :
On dit que est la fonction génératrice de la suite des coefficients binomiaux centraux.
A partir de cette formule, on peut trouver plusieurs sommes de séries numériques, en donnant une valeur particulière à Par exemple, pour :
5 – Une formule remarquable pour
Dans sa tentative de résolution du problème de Bâle, le mathématicien écossais James Stirling découvrit une formule inédite pour le nombre :
que l’on note aujourd’hui Il démontra que :
ce qui lui permit d’obtenir une bonne valeur approchée de ce nombre (voir plus bas).
Cependant, Stirling ne parvint pas à reconnaître qu’il s’agissait de … ce que fit par la suite Euler. A ce sujet, on pourra consulter cette vidéo :
Donnons une preuve détaillée de la formule :
Admettons temporairement que pour tout :
où désigne, pour tout la ème intégrale de Wallis. On rappelle que, par définition :
Cette propriété sera établie à l’annexe 2.
Etant donné que :
il en résulte que, pour tout :
Or, d’après un calcul classique :
et donc, en multipliant numérateur et dénominateur par :
Ainsi, pour tout :
ou, de manière équivalente :
Il ne reste plus qu’à choisir ce qui donne (compte tenu de l’égalité :
La formule annoncée est donc établie.
En termes d’accélération de la convergence, le gain est spectaculaire ! Si l’on note :
on constate que :
tandis que :
Annexe 1 – Preuve de la 2ème version de la formule de Legendre
Nous démontrons ici la :
Proposition
Pour tout entier et tout nombre premier :
où désigne la somme des chiffres de l’écriture de en base
Commençons par exprimer en base :
avec et
On observe que pour tout :
()
car :et
Donc, d’après la formule de Legendre et la formule :
Or :
et donc :
comme souhaité.
Annexe 2 – Un développement en série entière peu classique
Lemme
Pour tout :
Partons de la série en utilisant la définition des intégrales de Wallis.
Pour tout :
L’intégration terme à terme est justifiée car la série d’applications converge normalement (et donc uniformément) sur le segment .
En remplaçant par au dénominateur puis en posant il vient :
Pour finir, il est facile de voir que pour tout :
(si vous ne voyez pas pourquoi, n’hésitez pas à demander !) Ainsi :
Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.
Bonjour,
Merci pour cet article instructif, notamment les deux formules de Legendre (ou plutôt la formule de Legendre et son autre formulation équivalente de l’annexe 1).
Concernant les 4 formules de la partie 3, il me semble que la première a des applications en Dénombrement / Probabilité. En revanche, je ne connais pas d’application des formules 2-3-4 (bien que leur esthétique suffise, une application n’étant pas du tout nécessaire !).
Bien à vous.