
1 – Les quantificateurs (en 2 minutes …)
La plupart des énoncés mathématiques que nous manipulons comportent des quantificateurs.
Oui, vous savez bien … ces petits symboles ésotériques qui ressemblent soit à un ‘A’ renversé, soit à un ‘E’ vu dans un miroir.
Rappelons brièvement de quoi il s’agit, en donnant deux exemples très simples.
Exemple 1
Pour exprimer, avec des symboles, la phrase « le carré de tout nombre réel est positif ou nul », on écrit :
Exemple 2
Quant à la phrase « il existe un nombre réel positif dont le carré est égal à 2 », voici sa version formalisée :
Dans chacun des deux cas, le symbole ( ou
) peut être choisi librement … tant qu’il ne s’agit pas d’un symbole déjà utilisé dans le contexte !
Terminologie
Le symbole se lit « quel que soit » ou « pour tout » : c’est le quantificateur universel.
Le symbole se lit « il existe » : c’est le quantificateur existentiel. Il signifie, plus précisément : « il existe au moins »
Dans certaines circonstances, deux quantificateurs se suivent … et se ressemblent !
Par exemple, la phrase « pour tout entier naturel et pour tout réel positif
la puissance
ème de
est minorée (au sens large) par
» devient, en symboles :
Pour le quantificateur existentiel, c’est le même topo.
Bref, on peut librement échanger deux quantificateurs qui se suivent lorsque ceux-ci sont de même nature (deux fois ou bien deux fois
).

Mais si nos deux quantificateurs se suivent … et ne se ressemblent pas, alors les choses se compliquent …
2 – Quel que soit, il existe … ou le contraire ?
Considérons l’exemple suivant :



C’est évidemment vrai : il suffit de choisir (par exemple) et le tour est joué.
Maintenant, intervertissons les quantificateurs …
L’énoncé précédent fait place à celui-ci :
Cet exemple montre bien que l’interversion de deux quantificateurs distincts (un et un
) n’est pas neutre. Elle peut transformer un énoncé vrai en un énoncé faux et vice versa.
Formulons à présent une remarque assez générale.
Remarque
Considérons deux ensembles et une propriété
portant sur les couples
d’éléments du produit cartésien
Lorsqu’on écrit cela signifie que le couple
appartient à
et qu’il vérifie la propriété en question.
Intéressons-nous aux énoncés :
Si l’énoncé est vrai, alors l’énoncé
l’est certainement aussi !
Pour le dire en des termes simples : s’il existe dans un
« universel », c’est-à-dire un
qui convient à tous les
alors évidemment, pour chaque
particulier dans
on peut trouver un
dans
qui fera l’affaire (il suffit de prendre pour
ce fameux
En revanche, l’implication réciproque peut être en défaut. En effet, ce n’est pas parce qu’on peut toujours trouver un « local » (c’est-à-dire trouver, pour chaque
de
un
qui convient … et qui dépendra a priori de ce
que l’on peut pour autant affirmer l’existence d’un
« universel » au sens précédent.
Pourtant, l’interversion de quantificateurs est parfois valide … et peut révéler quelque chose de profond. C’est ce que nous allons maintenant détailler dans quatre contextes assez différents.
3 – Permutations d’ordre fini
Peut-être avez-vous jeté un coup d’œil au dernier exercice de cette fiche ?
Nous allons utiliser les mêmes notations…
On considère donc un ensemble ainsi qu’une application
Pour tout on note
la
ème itérée de
Par sécurité, rappelons que (par définition) :
c’est-à-dire, pour formuler les choses simplement :
Sont-ils équivalents ? Conformément à ce qui a été dit dans la remarque qui termine la section 2, il est clair que

Autant le dire tout de suite, l’implication n’est pas vraie en toute généralité.
Et pour s’en convaincre, rien de tel qu’un contre-exemple :
Prenons et l’application :
Dans le cadre de l’étude des groupes symétriques












Ici, désigne la permutation de
qui :
- laisse 1 fixe,
- envoie 2 sur 3 et 3 sur 2
- envoie 4 sur 5, 5 sur 6 et 6 sur 4
- envoie 7 sur 8, 8 sur 9, 9 sur 10 et 10 sur 7
- et ainsi de suite …
Il est facile de comprendre que vérifie
Vite fait : chaque entier appartient au support de l’un des cycles, disons le cycle
où
désigne le
ème nombre triangulaire :


Mais ne vérifie pas
car peu importe l’entier
considéré, si l’entier
est assez grand, il appartiendra au support d’un cycle de longueur
et fatalement, on aura
Cependant :
Proposition
Si E est supposé fini, alors les énoncés et
sont équivalents !
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Observons déjà que si, pour un certain couple on a
alors
pour tout
(en d’autres termes, si l’exposant
convient pour
alors tout exposant multiple de
convient aussi).
Maintenant, posons et, pour chaque
notons :
Alors, en posant

Et si vous êtes gêné(e) par cette histoire de ppcm, il vous suffit de poser plutôt




4 – Caractérisation des homothéties
Cette section et la suivante supposent que vous connaissiez un peu d’algèbre linéaire : notions d’espace vectoriel, de famille libre ou liée et d’endomorphisme …
On considère :
- un
-espace vectoriel
(dont le vecteur nul est noté
),
- un endomorphisme
de
Rappel : les homothéties de sont les endomorphismes de la forme
(pour
arbitraire).
Cela dit, considérons les deux énoncés suivants, qui concernent notre endomomorphisme :
L’implication



Nous allons prouver que l’implication est aussi vraie, ce qui nous donnera un nouvel exemple d’interversion de quantificateurs. Mais pour cela, il va falloir bosser un peu…
Pour commencer, observons que sous l’hypothèse si
alors il existe un unique
tel que
Par conséquent, on dispose de l’application qui à tout vecteur non nul
associe cet unique scalaire. Ce dernier peut être noté
Pour conclure que est vraie, il suffit de prouver que l’application
est constante. Pour cela, considérons un couple
de vecteurs non nuls et montrons que
en distinguant deux cas :
Premier cas : la famille
est libre
Nécessairement On peut donc écrire :

Il s’ensuit que :

En particulier :
Deuxième cas : la famille
est liée
Il existe alors tel que
On a d’une part :
Par conséquent :



L’équivalence des énoncés et
est établie.
5 – Endomorphismes nilpotents
A nouveau, on considère un endomorphisme d’un
espace vectoriel
Cette fois, les deux énoncés qui nous occupent sont :
L’énoncé




De nouveau, et toujours avec la remarque qui termine la section 2, on voit que :
Montrons que l’implication réciproque est vraie, sous l’hypothèse que est de dimension finie. Fixons pour cela une base
de
et appliquons l’hypothèse
:
Pour chaque il existe un entier naturel non nul
tel que
Notons
le plus petit tel entier et posons :
Pour tout puisque
et vu que
on voit que
Soit maintenant un vecteur quelconque de
En décomposant
dans la base
sous la forme
, on constate que :


Ajoutons que, lorsque est de dimension infinie, l’implication
devient fausse !
Contre-exemple en dimension infinie
Prenons pour l’espace
des polynômes à une indéterminée et à coefficients dans
et pour
l’endomorphisme de dérivation.
La dérivation d’un polynôme (non constant) faisant chuter son degré d’un unité, la condition est remplie : en dérivant un quelconque polynôme un nombre suffisant de fois, on finit par tomber sur le polynôme nul.
Pour autant, l’endomorphisme de dérivation n’est pas nilpotent puisqu’il existe de polynômes de degré arbitrairement grand.
6 – Continuité vs. continuité uniforme
Cette dernière section suppose connue la définition de la continuité d’une fonction numérique. Une certaine familiarité avec la notion de continuité uniforme vous facilitera les choses, mais elle ne s’impose pas puisque tout est défini ci-dessous.
Soit un intervalle non trivial de
(« non trivial », c’est-à-dire ni vide, ni réduit à un singleton) et soit
une application.
Voici deux énoncés qui concernent :
et
L’énoncé

L’énoncé dit que f est uniformément continue (toujours par définition).
Ces deux énoncés ne sont pas équivalents en général (c’est-à-dire sans hypothèse particulière sur ). On peut le voir en considérant l’application








Cependant, si est un segment (intervalle fermé et borné), alors l’implication
est vraie : c’est le théorème de Heine.
Pour en savoir plus à ce sujet, voir cet article, consacré à la notion de convergence uniforme.
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