Certaines notions figurant au programme de première année de CPGE scientifique ou de licence de mathématiques s’avèrent moins faciles à assimiler que d’autres. Si l’on dressait une liste des 10 concepts qui posent le plus de difficultés aux étudiants, je peux dire par expérience que la notion d’image directe ou d’image réciproque y figurerait en bonne place.
L’objet de cette note est de contribuer à éclaircir un peu cette question et d’en montrer quelques unes des principales utilisations, à ce niveau.
Pré-requis :
- Notion d’application,
- Image d’un élément de l’ensemble de départ,
- Antécédents éventuels d’un élément de l’ensemble d’arrivée.
Pour réviser ces notions fondamentales, vous pouvez consultez les deux vidéos suivantes :
Correspondances, Fonctions, Applications – Partie 1
Correspondances, Fonctions, Applications – Partie 2
1 – Image directe : définition et premiers exemples
Considérons une application et une partie (= un sous-ensemble) de .
On appelle image directe de par l’ensemble :
est donc l’ensemble des éléments de qui sont l’image d’un élément de .
Reformulons …
est l’ensemble des éléments de possédant un antécédent dans .
On peut écrire tout aussi bien :
ce qui se lit : « est l’ensemble des images par des éléments de . »
Si ce qui précède n’est pas parfaitement limpide, les exemples qui suivent peuvent aider…
Exemple 1
On commence, c’est incontournable, par un exemple avec des « patates » 🙂
Si l’on note l’application représentée par le diagramme ci-contre et ses ensembles de départ et d’arrivée, alors :
Exemple 2
Pour , il est clair que et que est l’ensemble des entiers naturels impairs.
Revenons au cas général et formulons trois remarques concernant une application .
- La condition , lorsqu’elle est remplie, exprime la surjectivité de (tout élément de possède au moins un antécédent par ).
- Si , alors .
- Enfin : .
Continuons maintenant notre exploration, avec de nouveaux exemples…
Exemple 3
Pour , il est clair que .
En fait : , mais pour quelle raison ? Et sauriez-vous déterminer ?
Réponses détaillées en ANNEXE, à la fin de l’article.
Exemple 4
Notons et considérons l’application
Alors est l’ensemble des entiers naturels pouvant s’écrire comme le produit de deux entiers strictement positifs, mais de manière non triviale (puisqu’aucun des deux facteurs ne peut valoir 1).
On voit ainsi que est l’ensemble des nombres composés (autrement dit : non premiers) et supérieurs ou égaux à 4.
2 – On marque une pause pour réfléchir à la notation
Vous vous demandez peut-être pourquoi je m’obstine à utiliser la notation alors qu’on trouve, dans pas mal de bouquins, la notation .
La raison est simple. Il faut à tout prix éviter la confusion entre :
- d’une part, l’image d’un élément
- d’autre part, l’image directe d’une partie
Aucun risque, me direz-vous : un élément et un partie, ce n’est pas la même chose ! Le contexte doit donc permettre de savoir de quoi on parle.
Il faut reconnaître que c’est souvent le cas en pratique… mais pas toujours !
Considérons l’ensemble :
Manifestement, les entiers 0 et 1 sont des éléments de , donc l’ensemble est une partie de . Mais c’est aussi un élément de …! Dans ces conditions, si est une application (peu importe l’ensemble d’arrivée ), il est indispensable de noter différemment l’image de l’élément et l’image directe de la partie .
Pas clair ? Allons au bout de cet exemple en définissant complètement :
On voit que :
J’espère vous avoir convaincu de la nécessité de noter différemment l’image d’un élément et l’image directe d’une partie.
3 – Deux exemples plus élaborés d’images directes
Exemple 5
Considérons l’application
et tâchons de déterminer . Observons pour commencer que si , alors il existe tel que :
ce qui impose :
En notant , on a donc .
Voyons maintenant ce qu’il en est de l’inclusion inverse…
Soit un couple de nombres réels vérifiant .
Le discriminant de l’équation d’inconnue :
étant positif ou nul, celle-ci possède deux racines et réelles (éventuellement confondues) et l’on sait (relations entre coefficients et racines) que :
Si les « relations entre coefficients et racines » ne vous sont pas familières, vous pouvez simplement calculer :
ainsi que :
L’inclusion inverse est établie et finalement :
Au passage, est l’union de la parabole d’équation et de son « extérieur ». Dans la figure ci-dessous, est colorié en bleu :
Exemple 6
On sait depuis près de 23 siècles qu’il existe une infinité de nombres premiers. La preuve proposée par Euclide (Eléments, Livre IX, proposition 20) se résume à ceci :
Si sont des nombres premiers tous distincts, alors l’entier n’est divisible par aucun des pour . Ses facteurs premiers se situent donc tous hors de l’ensemble .
Euclide prouve ainsi que l’ensemble ne saurait contenir tous les nombres premiers, d’où il déduit que l’ensemble des nombres premiers est infini.
Considérons maintenant l’application définie par :
- Pour tout entier , désigne le plus petit facteur premier de
Par construction et d’après l’argument d’Euclide, les nombres sont tous premiers et sont deux à deux distincts. Calculons pour les petites valeurs de :
- , donc
- , donc
- , donc
- , donc
- , donc
C’est à vous !! Réponse en ANNEXE, à la fin d’article.
La suite est connue sous le nom de suite de Euclide-Mullin (voir la note Recursive function theory (A modern look at a Euclidean idea) publiée en 1963 par A.A. Mullin dans le Bulletin of the American Mathematical Society).
Il est bien évident que , mais la question de savoir si tout nombre premier est (ou non) un terme de cette suite demeure, depuis plus d’un demi-siècle, un problème ouvert !
En d’autres termes, on ne connaît pas à ce jour l’image directe de par .
4 – Image réciproque : définition et premiers exemples
Considérons une application et une partie (= un sous-ensemble) de .
On appelle image réciproque de par l’ensemble :
Ceci se lit :
« est l’ensemble des éléments de dont l’image par appartient à ».
Autrement dit : est l’ensemble des antécédents par des éléments de .
Exemple 7
On recommence avec les « patates »…
En notant à nouveau l’application représentée ci-contre et ses ensembles de départ et d’arrivée :
.
Exemple 8
Reprenons l’application de l’exemple :
et déterminons . Par définition :
Or, d’une part :
et d’autre part :
Ainsi :
Cette relation est visualisée avec l’illustration suivante :
Exemple 9
Dans le cours de première année, on démontre que si , sont deux -espaces vectoriels et si est linéaire, alors pour tout sous-espace vectoriel (sev) de , l’image réciproque de par est un sous-espace vectoriel de . Vérifions ensemble cette propriété.
On notera et les vecteurs nuls respectifs de et de .
Il s’agit de prouver d’une part que et d’autre part que est stable par combinaison linéaire.
Tout d’abord, comme est linéaire, on sait que . Par ailleurs, étant un sev de , on sait aussi que . Il en résulte que :
Donnons-nous ensuite des vecteurs dans et un scalaire . Afin de prouver que , on calcule :
et l’on invoque la stabilité de par combinaison linéaire. On voit ainsi que , ce qui règle la question.
Notons au passage qu’un cas particulier fondamental est celui où ; dans ce cas, n’est autre que le noyau de . C’est ainsi que le noyau de toute application linéaire est un sev de son espace de départ.
5 – Une ambiguïté qui n’en est pas une
Etant donnée une bijection , la notation est utilisée pour désigner sa bijection réciproque. Par conséquent, si , une ambiguïté potentielle surgit lorsqu’on écrit .
S’agit-il :
- de l’image réciproque de par ?
- ou bien de l’image directe de par ?
Qu’on se rassure, cette ambiguïté n’est qu’apparente, car ces deux ensembles sont confondus. Prouvons cela en vérifiant soigneusement la double-inclusion.
Notons l’image réciproque de par et l’image directe de par :
- les éléments de sont, par définition, les éléments de vérifiant ,
- les éléments de sont ceux de la forme , pour dans .
Si , alors . Ceci prouve que
Réciproquement, si alors il existe tel que , donc , ce qui prouve que , autrement dit que . Ceci prouve que
La double-inclusion est établie.
Ajoutons pour finir que si n’est pas bijective, alors le symbole n’est pas défini s’il est utilisé seul ! Mais on bien sûr écrire pour tout .
6 – Quatre pattes ➡ Un mouton
En combinatoire, on utilise parfois le résultat suivant, connu sous le nom de « lemme des bergers ».
Etant donnés deux ensembles , on suppose que est fini et qu’il existe une application dont les fibres ont toutes le même cardinal .
Alors est fini et :
Quant aux « fibres » de , ce sont (par définition) les images réciproques des singletons. Voici donc une version formalisée du même énoncé :
Pour le prouver, il suffit de voir que est l’union des fibres de . En tant qu’union finie d’ensembles finis, est fini. De plus, cette union étant disjointe, le cardinal de est la somme des cardinaux des fibres, d’où la formule annoncée.
L’appellation « lemme des bergers » provient sans doute d’une plaisanterie : on imagine un berger voulant connaître le nombre de moutons de son troupeau… il lui suffit de compter les pattes puis de diviser par 4 l’entier obtenu !
L’illustration ci-dessous représente l’application qui va de l’ensemble des pattes vers celui des moutons et qui, à chaque patte, associe le mouton auquel elle appartient 🙂
Pour cette application, le lemme s’applique avec . On suppose évidemment que les moutons sont en bonne santé et qu’ils n’ont pas été manipulés génétiquement …
Citons un exemple d’utilisation du lemme des bergers :
Proposition
Si sont finis de cardinaux respectifs et n avec , alors il existe injections de vers .
On peut prouver cette proposition en raisonnant par récurrence sur le cardinal de (celui de étant fixé). Pour , les applications possibles sont évidemment toutes injectives, ce qui initialise la récurrence. Supposons la propriété établie au rang , pour un certain , et donnons-nous deux ensembles de cardinaux respectifs et .
Fixons un élément de et considérons l’application
qui à chaque injection de vers associe sa restriction à . Par hypothèse de récurrence, .
Comme chaque injection de vers peut être prolongée de façons en une injection de vers (en associant à l’un quelconque des éléments encore disponibles), on voit que le lemme des bergers s’applique à et que :
comme souhaité.
7 – Image réciproque d’une image directe
Si et , alors . En effet, si , alors (par définition de ) et donc (par définition de avec ).
Mais cette inclusion est en général stricte. Considérons en effet l’unique application et posons . Alors :
Cependant :
Proposition A
Si est injective, alors , pour toute partie de .
En effet, étant donné , si , alors ce qui signifie qu’il existe tel que . Comme est injective, alors et donc . Quant à l’autre inclusion, elle a été établie en toute généralité.
La réciproque de l’implication précédente est vraie :
Proposition réciproque
Si est telle que pour toute partie de , alors est injective.
En effet, soient tels que . En choisissant dans l’hypothèse, on constate que . Or et donc .
8 – Image directe d’une image réciproque
Si et , alors . En effet, si , alors (par définition de avec ) il existe tel que et donc .
L’inclusion inverse n’est pas vraie en général, comme on le voit en considérant par exemple définie par et . On constate que :
Cependant :
Proposition B
Si est surjective, alors pour toute partie de .
En effet, étant donné , si , alors il existe (par surjectivité de ) un élément tel que . Manifestement et donc .
Réciproquement …
Proposition réciproque
Si est telle que pour toute partie de , alors est surjective.
En effet, soit . En choisissant dans l’hypothèse, on voit que . Ainsi ; autrement dit, admet un antécédent par .
9 – Image réciproque et topologie
Etant donnés un espace métrique (par exemple un espace vectoriel normé ou une partie d’un tel espace) ainsi qu’une partie de , on a parfois besoin de prouver que est un ouvert de . Pour cela, plusieurs méthodes existent. On peut…
- appliquer la définition d’un ouvert (c’est-à-dire vérifier, pour chaque , l’existence d’une boule ouverte de centre incluse dans ),
- prouver que le complémentaire dans de est un fermé, en appliquant par exemple la caractérisation séquentielle des fermés (c’est-à-dire en vérifiant que pour toute suite convergente à termes dans le complémentaire de , la limite de cette suite appartient encore à ),
- trouver un espace métrique , un ouvert de et une application continue tels que .
Cette troisième méthode repose donc sur le fait que « l’image réciproque d’un ouvert par une application continue est un ouvert ».
Par simple passage au complémentaire, on dispose de l’énoncé jumeau : « l’image réciproque d’un fermé par une application continue est un fermé ».
Ces deux énoncés s’avèrent très utiles en pratique. Donnons-en trois exemples d’utilisation.
Exemple 10 – A
Dans , l’hyperbole d’équation est un fermé car c’est l’image réciproque du fermé de par l’application , qui est continue (puisque polynomiale).
Plus généralement, toute courbe d’équation où est continue, est une partie fermée de .
Ceci montre que les courbes d’équation polaire :
(connues sous le nom de spirales logarithmiques) ne possèdent pas d’équation de la forme avec continue. En effet, n’est pas fermée, car l’origine est un point asymptote qui n’appartient pas à la courbe.
Exemple 10 – B
Dans , le groupe des matrices carrées inversibles est un ouvert puisque c’est l’image réciproque de l’ouvert de par l’application qui est continue (puisque polynomiale, elle aussi).
On peut d’ailleurs montrer, plus précisément, que est un ouvert dense : toute matrice est la limite d’une suite de matrices inversibles (il suffit de considérer la suite matricielle de terme général , pour ).
Exemple 10 – C
Dans , considérons deux parties et , non vides et disjointes (on pourrait, sans rien changer d’essentiel, remplacer dans ce qui suit par un espace métrique quelconque).
Une question classique consiste se demander si l’on peut les séparer, c’est-à-dire s’il existe des ouverts et disjoints tels que et . La réponse est en général négative, mais si et sont fermés, elle devient affirmative !
En effet, notons :
➡ la norme euclidienne d’un vecteur .
➡ la distance d’un vecteur à une partie , définie par :
Pour tout , l’application est continue car lipschitzienne.
On sait par ailleurs que si, et seulement si, (l’adhérence de ). En particulier, si est fermé dans , alors : .
Sauriez-vous établir ces points ? Solution en ANNEXE !
l’application définie sur par :
Comme est continue (différence de deux applications continues), alors les ensembles
sont des ouverts de car chacun est l’image réciproque d’un ouvert de . Ils sont évidemment disjoints et de plus :
En effet : si , alors d’une part et, d’autre part, d’où puisque est fermé; ainsi : . Ceci montre que .
On voit de même que . On peut donc toujours séparer, dans comme dans n’importe quel espace métrique, deux fermés non vides et disjoints.
Terminons en remarquant que l’image directe d’un ouvert par une application continue n’est pas, en général, un ouvert de l’espace d’arrivée. Par exemple, l’application
transforme l’ouvert en , qui n’est pas ouvert.
10 – Annexe
Section 1 – Exemple 3
- C’est une conséquence du théorème des valeurs intermédiaires. Considérons en effet un réel . Comme , il existe tel que . Comme et sont atteints par , alors tout réel compris entre et est aussi atteint : c’est en particulier le cas de . Ceci prouve que . L’inclusion réciproque étant évidente (le carré de tout nombre réel est positif ou nul), on a l’égalité.
- Les variations de (décroissance sur et croissance sur ) et sa continuité montrent que
Section 3 – Exemple 6
Après et le terme suivant est . En effet :
et le plus petit facteur premier de cet entier est d’évidence . Quant au suivant, il est un peu plus gros… On calcule :
qui est premier.
Section 9 – Point numéro 3
Deux propriétés de la distance à une partie
- Soient . Pour tout :
- Si alors, d’après la caractérisation séquentielle d’une borne inférieure, il existe une suite d’éléments de telle que . On voit ainsi que est adhérent à X. Réciproquement, si est adhérent à , alors une telle suite existe et en passant à la limite dans l’encadrement , on obtient .
Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.
Bonsoir Monsieur,
Merci pour cet article !
On comprend très bien sans, mais sauf erreur de ma part, il manque quelques accolades ensemblistes dans :
– l’exemple 8 de la section 4 ;
– les trois dernières lignes qui précédent la section 8 ;
– les deux dernières lignes qui précédent la section 9.
Bien à vous
C’est corrigé ! Merci, une fois encore, pour votre lecture millimétrique 🙂