A propos de la continuité uniforme

Ce texte propose une présentation détaillée de la notion de continuité uniforme, pour une application à valeurs réelles, définie sur un intervalle de \mathbb{R}.

On y prouve notamment le théorème de Heine : toute application continue sur un segment, à valeurs réelles, est uniformément continue.

En guise d’application, on établit ensuite le théorème de Weierstrass trigonométrique, selon lequel toute application continue et 2\pi-périodique de \mathbb{R} dans \mathbb{R} est limite uniforme d’une suite de polynômes trigonométriques.

Une assez bonne habitude de l’analyse réelle est requise, comme préalable à la lecture de cet article.

Dans ce qui suit, I désigne un intervalle non trivial de \mathbb{R} (c’est-à-dire : ni vide, ni réduit à un singleton).

1 – Lien avec la continuité ordinaire

Définition

Une application f:I\rightarrow\mathbb{R} est dite uniformément continue lorsque :

(\star)   \[ \forall\epsilon>0,\thinspace\exists\alpha>0;\thinspace\forall\left(x,x'\right)\in I^{2},\thinspace\left|x'-x\right|\leqslant\alpha\Rightarrow\left|f\left(x'\right)-f\left(x\right)\right|\leqslant\epsilon\]

En substance, cette définition dit qu’on peut rendre l’écart entre f\left(x\right) et f\left(x'\right) arbitrairement petit, pourvu que x et x' soient assez proches l’un de l’autre.

La différence entre la notion de continuité et celle de continuité uniforme ne saute peut-être pas aux yeux …

Comparons donc \left(\star\right) avec la définition formalisée de la continuité.

Rappelons que f est dite continue sur I si, et seulement si, f est continue en x pour tout x\in I; ce qui s’écrit :

(\star\star)   \[\forall x\in I,\thinspace\forall\epsilon>0,\thinspace\exists\alpha>0;\thinspace\forall x'\in I,\thinspace\left|x'-x\right|\leqslant\alpha\Rightarrow\left|f\left(x'\right)-f\left(x\right)\right|\leqslant\epsilon\]

La différence formelle entre \left(\star\right) et \left(\star\star\right) consiste donc en la position d’un quantificateur universel :

  • Dans l’assertion \left(\star\right), \alpha ne dépend que de \epsilon
  • Dans l’assertion \left(\star\star\right), \alpha dépend a priori de \epsilon et de x

On observe que, dans l’énoncé \left(\star\right), le nombre \alpha convient à chaque x particulier, ce qui exprime une certaine uniformité, d’où la terminologie.

Les deux propositions suivantes sont évidentes (on désormais UC pour « uniformément continue ») :

Proposition 1

Soient I,J deux intervalles tels que J\subset I (avec J non trivial).

Si f:I\rightarrow\mathbb{R} est UC, alors la restriction de f à J est UC.

Proposition 2

Toute application UC est continue.

Attention : la continuité n’implique pas la continuité uniforme !

Contre-Exemple 1

L’application f:\mathbb{R}\rightarrow\mathbb{R},\thinspace x\mapsto x^{2} (qui est continue puisque polynomiale) n’est pas UC.

Pour montrer cela, on s’assure que la négation de \left(\star\right) est vérifiée par f, c’est-à-dire que :

    \[\exists\epsilon>0;\thinspace\forall\alpha>0,\thinspace\exists\left(x,x'\right)\in\mathbb{R}^{2};\thinspace\left|x'-x\right|\leqslant\alpha\;\text{et}\;\left|x'^{2}-x^{2}\right|>\epsilon\]

Constatons que \epsilon=1 convient (tout \epsilon>0 ferait tout aussi bien l’affaire …). Pour tout \alpha>0 et pour tout x>0 :

    \[ \left|\left(x+\alpha\right)^{2}-x^{2}\right|=2\alpha x+\alpha^{2}>2\alpha x\]

et donc :

    \[ \left|\left(x+\alpha\right)^{2}-x^{2}\right|>1\qquad\text{dès que}\qquad x>\frac{1}{2\alpha}\]

C’était intuitivement clair : peu importe la valeur de \alpha>0, on parvient toujours à rendre l’écart entre \left(x+\alpha\right)^{2} et x^{2} plus grand que 1, en prenant x>0 assez grand.

En revanche, si l’on considère plutôt

    \[ g:\left[-A,A\right]\rightarrow\mathbb{R},\thinspace x\mapsto x^{2}\]

avec A>0 fixé, alors pour tout \left(x,x'\right)\in\left[-A,A\right]^{2} :

    \[\left|x'^{2}-x^{2}\right|=\left|x'+x\right|\thinspace\left|x'-x\right|\leqslant\left(\left|x'\right|+\left|x\right|\right)\thinspace\left|x'-x\right|\leqslant2A\thinspace\left|x'-x\right|\]

Ceci entraîne que g est UC.

En effet, étant donné \epsilon>0, si l’on pose \alpha=\frac{\epsilon}{2A} alors pour tout (x,x')\in[-A,A]^2 :

    \[\left|x'-x\right|\leqslant\alpha\Rightarrow\left|x'^{2}-x^{2}\right|\leqslant\epsilon\]

Généralisons ce qui vient d’être observé …

2 – Caractère lipschitzien et continuité uniforme

Définition

Une application f:I\rightarrow\mathbb{R} est dite lipschitzienne lorsque l’ensemble des pentes des cordes de son graphe est borné.

Cela se traduit formellement par l’existence d’un réel K>0 tel que

(L_K)   \[\forall\left(x,x'\right)\in I^{2},\thinspace\left|f\left(x'\right)-f\left(x\right)\right|\leqslant K\left|x'-x\right|\]

On dit alors que f est K-lipschitzienne ou bien qu’elle est lipschitzienne de rapport K.

Proposition 3

Toute application lipschitzienne est UC.

Soit f:I\rightarrow\mathbb{R} une application K-lipschitzienne (avec K>0), c’est-à-dire vérifiant \left(L_{K}\right).

Etant donné \epsilon>0, si l’on pose \alpha=\frac{\epsilon}{K}, alors pour tout \left(x,x'\right)\in I^{2} vérifiant \left|x'-x\right|\leqslant\alpha :

    \[ \left|f\left(x'\right)-f\left(x\right)\right|\leqslant K\left|x'-x\right|\leqslant K\alpha=\epsilon\]

ce qui prouve l’uniforme continuité de f.

Corollaire

Toute application dérivable, dont la dérivée est bornée, est UC.

L’hypothèse entraîne en effet, d’après la formule des accroissements finis, que f est lipschitzienne.

En particulier, si I est un segment et si f:I\rightarrow\mathbb{R} est de classe C^{1}, alors f' est bornée (application continue sur un segment) et donc f est UC d’après ce corollaire.

Bien entendu, pas de réciproque pour le corollaire puisqu’une application UC n’a aucune raison d’être dérivable (penser par exemple à la valeur absolue).

Pour finir, la réciproque de l’implication énoncée à la proposition 3 est fausse. En effet :

Contre-Exemple 2

L’application R:\left[0,+\infty\right[\rightarrow\mathbb{R},\thinspace x\mapsto\sqrt{x} n’est pas lipschitzienne puisque, pour tout x>0 :

    \[ \frac{R\left(x\right)-R\left(0\right)}{x}=\frac{1}{\sqrt{x}}\underset{x\to0^{+}}{\rightarrow}+\infty\]

Elle est pourtant UC. Pour le voir, montrons d’abord que :

(\bullet)   \[ \forall\left(x,x'\right)\in\left[0,+\infty\right[^{2},\thinspace\left|\sqrt{x'}-\sqrt{x}\right|\leqslant\sqrt{\left|x'-x\right|}\]

Il suffit de traiter le cas où x'\geqslant x, pour lequel on constate que :

    \begin{equation*}\begin{split}\left(\sqrt{x'-x}+\sqrt{x}\right)^{2} & = \left(x'-x\right)+x+2\sqrt{x\left(x'-x\right)}\\& = x'+2\sqrt{x\left(x'-x\right)}\\&  \geqslant x'\end{split}\end{equation*}

d’où par croissance R : \sqrt{x'-x}+\sqrt{x}\geqslant\sqrt{x'}, c’est-à-dire \left(\bullet\right).

Maintenant, fixons \epsilon>0 et choisissons \alpha=\epsilon^{2}.

On voit que, pour tout \left(x,x'\right)\in\left[0,+\infty\right[^{2} vérifiant \left|x'-x\right|\leqslant\alpha :

    \[ \left|\sqrt{x'}-\sqrt{x}\right|\leqslant\sqrt{\left|x'-x\right|}\leqslant\sqrt{\alpha}=\epsilon\]

Schématiquement, nous avons vu à ce stade que :

    \[ \boxed{DDB\underset{\not\Leftarrow}{\Rightarrow}Lip\underset{\not\Leftarrow}{\Rightarrow}\text{UC}\underset{\not\Leftarrow}{\Rightarrow}\text{C}}\]

Le sigle DDB signifiant « dérivable à dérivée bornée ».

3 – Le théorème de Heine

Nous avons vu plus haut un exemple d’application continue mais non UC sur un intervalle I (il s’agissait de \mathbb{R}\rightarrow\mathbb{R},\thinspace x\mapsto x^{2}).

Dans le cas où I est un intervalle compact (c’est-à-dire un segment : intervalle de la forme \left[a,b\right] avec a<b), il se passe quelque chose de très spécial …

Théorème (HEINE)

Si I est un segment et si f:I\rightarrow\mathbb{R} est continue, alors f est UC.

Heinrich Eduard HEINE (1821 – 1881)

La démonstration qui suit repose essentiellement sur le théorème de Bolzano-Weierstrass (selon lequel on peut, de toute suite réelle bornée, extraire une sous-suite convergente). Ce résultat est admis ici (pour une preuve courte voir l’exercice n° 9 de cette fiche ou encore consulter le lexique).

Preuve (cliquer pour déplier / replier)

Supposons f non uniformément continue. Il existe donc \epsilon>0 tel que :

    \[\forall\alpha>0,\exists\left(s,t\right)\in\left[a,b\right]^{2};\,\left|s-t\right|\leqslant\alpha\mbox{ et }\left|f\left(s\right)-f\left(t\right)\right|>\epsilon\]

En choisissant \alpha=1/n (pour tout n\in\mathbb{N}^{\star}), on peut construire deux suites \left(s_{n}\right)_{n\geqslant1} et \left(t_{n}\right)_{n\geqslant1} à termes dans \left[a,b\right] vérifiant :

    \[\forall n\in\mathbb{N}^{\star},\,\left|s_{n}-t_{n}\right|\leqslant\frac{1}{n}\mbox{ et }\left|f\left(s_{n}\right)-f\left(t_{n}\right)\right|>\epsilon\]

D’après Bolzano-Weierstrass, il existe une suite \left(s_{\varphi\left(n\right)}\right)_{n\geqslant1} extraite de \left(s_{n}\right)_{n\geqslant1}, qui converge vers un élément c de \left[a,b\right]. La relation :

    \[\forall n\in\mathbb{N}^{\star},\,\left|s_{\varphi\left(n\right)}-t_{\varphi\left(n\right)}\right|\leqslant\frac{1}{\varphi\left(n\right)}\leqslant\frac{1}{n}\]

impose la convergence de \left(t_{\varphi\left(n\right)}\right)_{n\geqslant1} vers la même limite c.

La continuité de f en c entraîne alors la convergence de chacune des suites \left(f\left(s_{\varphi\left(n\right)}\right)\right)_{n\geqslant1} et \left(f\left(t_{\varphi\left(n\right)}\right)\right)_{n\geqslant1} vers f\left(c\right).

Par conséquent, dès que n est assez grand :

    \[\left|f\left(s_{\varphi\left(n\right)}\right)-f\left(t_{\varphi\left(n\right)}\right)\right|\leqslant\epsilon\]

C’est absurde et f est donc UC.

Les applications du théorème de Heine ne manquent pas.

Je vous en propose trois : les deux premières sont anecdotiques (ce sont, au mieux, des exercices intéressants), tandis que la troisième constitue un résultat significatif (et joue notamment un rôle en théorie des séries de Fourier).

Vous trouverez une autre application du théorème de Heine dans cet article.

4 – Deux exercices sympathiques

Exercice 1

Montrer que si f:\left[a,b\right]\rightarrow\mathbb{R} est continue, alors f est « presque » lipschitzienne, au sens suivant :

    \[ \forall\varepsilon>0,\exists k>0;\forall\left(x,y\right)\in\left[a,b\right]^{2},\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\varepsilon+k\left|x-y\right|\]

Solution proposée pour l’ex. 1 (cliquer pour déplier / replier)

Soit \varepsilon>0. D’après le théorème de Heine, il existe \alpha>0 tel que :

    \[\forall\left(x,y\right)\in\left[a,b\right]^{2},\,\left|x-y\right|\leqslant\alpha\Rightarrow\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\varepsilon\]

Par ailleurs, f est bornée (car continue sur un segment) :

    \[ \exists M>0;\forall x\in\left[a,b\right],\,\left|f\left(x\right)\right|\leqslant M\]

donc, si \left(x,y\right)\in\left[a,b\right]^{2} est tel que \left|x-y\right|>\alpha, alors :

    \[ \left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|=\left|\frac{f\left(x\right)-f\left(y\right)}{x-y}\right|\,\left|x-y\right|\leqslant\frac{2M}{\alpha}\left|x-y\right|\]

Finalement, en posant k={\displaystyle \frac{2M}{\alpha}}, on voit que pour tout \left(x,y\right)\in\left[a,b\right]^{2} :

    \[ \left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\varepsilon+k\left|x-y\right|\]

Exercice 2

Montrer que si f:\left[a,+\infty\right[\rightarrow\mathbb{R} est continue et admet une limite finie en +\infty, alors f est UC.

Solution proposée pour l’ex. 2 (cliquer pour déplier / replier)

Notons L la limite de f en +\infty.

Nous allons prouver qu’étant donné \epsilon>0, l’écart \left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right| pourra être rendu inférieur à \epsilon dès que x,y\in\left[a,+\infty\right[ sont assez proches.

Par définition d’une limite, il existe A>a tel que :

    \[x\geqslant A\Rightarrow\left|f\left(x\right)-\ell\right|\leqslant\frac{\epsilon}{2}\]

Soit maintenant \left(x,y\right)\in\left[a,+\infty\right[^{2}.

Envisageons trois cas selon que :

  • x et y appartiennent à \left[A,+\infty\right[
  • x et y appartiennent à \left[a,A\right]
  • x et y se situent de part et d’autre de a

D’après l’inégalité triangulaire :

(1)   \[\forall\left(x,y\right)\in\left[A,+\infty\right[^{2},\:\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\left|f\left(x\right)-\ell\right|+\left|\ell-f\left(y\right)\right|\leqslant\epsilon\]

D’après le théorème de Heine, f est uniformément continue sur \left[a,A\right]. Il existe donc \alpha>0 tel que :

(2)   \[\forall\left(x,y\right)\in\left[a,A\right]^{2},\,\left|x-y\right|\leqslant\alpha\Rightarrow\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\frac{\epsilon}{2}\]

Enfin, si x\leqslant A\leqslant y et y-x\leqslant\alpha, alors d’une part \left|x-A\right|\leqslant\alpha d’où \left|f\left(x\right)-f\left(A\right)\right|\leqslant\frac{\epsilon}{2} d’après \left(2\right), et d’autre part \left|f\left(A\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\frac{\epsilon}{2} d’après \left(1\right). Donc :

    \[\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\left|f\left(x\right)-f\left(A\right)\right|+\left|f\left(A\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\epsilon\]

On a montré que :

    \[\forall\left(x,y\right)\in\left[a,+\infty\right[^{2},\,\left|x-y\right|\leqslant\alpha\Rightarrow\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\epsilon\]

Noter que la réciproque de l’implication établie à l’exercice 2 est fausse.

Il existe en effet des applications \left[a,+\infty\right[\rightarrow\mathbb{R} uniformément continues et admettant une limite infinie en +\infty (il suffit de considérer id_\mathbb{R}).

Il en existe même n’admettant pas de limite du tout en +\infty …!

Exemple

Considérons l’application :

    \[ \Phi:\left[0,+\infty\right[\rightarrow\mathbb{R},\thinspace t\mapsto\cos\left(\sqrt{t}\right)\]

  • d’une part, comme \cos est 1-lipschitzienne et d’après une inégalité établie plus haut (pour la racine carrée) :

        \[\left|\cos\left(\sqrt{x}\right)-\cos\left(\sqrt{y}\right)\right|\leqslant\left|\sqrt{x}-\sqrt{y}\right|\leqslant\sqrt{\left|x-y\right|}\]

    ce qui montre que \Phi est UC.
  • d’autre part, la suite \left(n^{2}\pi^{2}\right)_{n\geqslant0} diverge vers +\infty alors que \left(\cos\left(n\pi\right)\right)_{n\geqslant0}=\left(\left(-1\right)^{n}\right)_{n\in\mathbb{N}} n’admet pas de limite. Par conséquent \Phi ne possède pas de limite en +\infty.

5 – Le théorème de Weierstrass trigonométrique

Soit E l’espace vectoriel des applications continues et 2\pi-périodiques de \mathbb{R} dans \mathbb{R}.

On munit E de la norme de la convergence uniforme :

    \[ \forall f\in E,\thinspace\left\Vert f\right\Vert_{\infty}=\sup_{t\in\mathbb{R}}\left|f\left(t\right)\right|\]

Noter, si S est un segment de longueur 2\pi, alors en raison de la 2\pi-périodicité :

    \[\forall f\in E,\thinspace\left\Vert f\right\Vert_{\infty}=\sup_{t\in S}\left|f\left(t\right)\right|\]

Pour tout k\in\mathbb{N}, on note c_{k} et s_{k} les applications respectivement définies par :

    \[\forall t\in\mathbb{R},\thinspace\left\{\begin{array}{ccc}c_{k}\left(t\right) & = & \cos\left(kt\right)\\s_{k}\left(t\right) & = & \sin\left(kt\right)\end{array}\right.\]

Pour tout n\in\mathbb{N}^{\star}, on désigne par \mathcal{T}_{n} le sous-espace de E engendré par la famille \left(c_{0},c_{1},\cdots,c_{n},s_{1},\cdots,s_{n}\right). On note aussi \mathcal{T}_{0} le sous-espace constitué des applications constantes.

Comme \left(\mathcal{T}_{n}\right)_{n\in\mathbb{N}} est une famille croissante pour l’inclusion, l’ensemble {\displaystyle \mathcal{T}=\bigcup_{n\in\mathbb{N}}\mathcal{T}_{n}} est un sous-espace vectoriel de E. Ses éléments sont appelés « polynômes trigonométriques ».

On établit maintenant le :

Théorème (WEIERSTRASS, version trigonométrique)

\mathcal{T} est une partie dense de E


Autrement dit, toute application f:\mathbb{R}\rightarrow\mathbb{R} continue et 2\pi-périodique est limite uniforme sur \mathbb{R} (ou, ce qui revient au même, sur \left[-\pi,\pi\right]) d’une suite de polynômes trigonométriques.

On va prouver ce résultat en définissant une suite \left(f_{n}\right)_{n\in\mathbb{N}} par :

    \[f_{n}\left(x\right)=\int_{-\pi}^{\pi}f\left(x-t\right)\thinspace \varphi_{n}\left(t\right)\thinspace dt\]

où les \varphi_{n} sont des « unités approchées » convenablement choisies.

On dit que f_n est le produit de convolution de f par \varphi.

On constatera que :

  • chaque f_{n} est un polynôme trigonométrique,
  • la suite \left(f_{n}\right)_{n\in\mathbb{N}} converge uniformément sur \mathbb{R} vers f

ce qui donnera la conclusion. Voyons maintenant les choses de plus près…

Preuve détaillée du théorème (cliquer pour déplier / replier)
On commence par construire les \varphi_n. (cliquer pour déplier / replier)

L’idée est qu’élevant à une grande puissance la restriction à [-\pi,\pi] de t\mapsto\cos\left(\frac t2\right), on obtient quelque chose comme ceci :

Il faut ensuite « normer », c’est-à-dire multiplier chaque fonction par un coefficient convenable, afin de forcer l’intégrale à valoir 1.

Posons donc , pour tout n\in\mathbb{N} :

    \[\boxed{\varphi_{n}:\mathbb{R}\rightarrow\mathbb{R},\thinspace t\mapsto K_{n}\thinspace\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right)}\]

K_{n}>0 est ajusté de telle sorte que :

    \[\boxed{\int_{-\pi}^{\pi}\varphi_{n}\left(t\right)\thinspace dt=1}\]

Pour tout x\in\left[0,\frac{\pi}{2}\right] :

    \[\cos^{2}\left(x\right)=1-\sin^{2}\left(x\right)\geqslant1-\sin\left(x\right)\geqslant0\]

donc :

    \begin{equation*}\begin{split}\int_{0}^{\pi/2}\,\cos^{2n+1}\left(x\right)\,dx & = \int_{0}^{\pi/2}\,\left(\cos^{2}\left(x\right)\right)^{n}\cos\left(x\right)\,dx\\& \geqslant \int_{0}^{\pi/2}\,\left(1-\sin\left(x\right)\right)^{n}\cos\left(x\right)\,dx \end{split}\end{equation*}

En posant t=\sin\left(x\right) dans cette dernière intégrale, il vient :

    \[ \int_{0}^{\pi/2}\,\cos^{2n+1}\left(x\right)\,dx\geqslant\int_{0}^{1}\,\left(1-t\right)^{n}\,dt=\frac{1}{n+1}\]

On voit donc que :

    \[1=K_{n}\,\int_{-\pi}^{\pi}\,\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right)\,dt=4\,K_{n}\,\int_{0}^{\pi/2}\,\cos^{2n}\left(x\right)\,dx\]

et donc :

    \[1\geqslant4K_{n}\int_{0}^{\pi/2}\,\cos^{2n+1}\left(x\right)\,dx\geqslant\frac{4\,K_{n}}{n+1}\]

d’où la majoration :

    \[\boxed{K_{n}\leqslant\frac{n+1}{4}}\]

Soit maintenant \delta\in\left]0,\pi\right[. Comme \cos décroît sur \left[0,\frac{\pi}{2}\right], alors pour tout t\in\left[\delta,\pi\right] :

    \[ 0\leqslant\varphi_{n}\left(t\right)=K_{n}\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right)\leqslant\frac{n+1}{4}\cos^{2n}\left(\frac{\delta}{2}\right)\]

Ce dernier majorant est indépendant de t, donc :

    \[0\leqslant\sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)\leqslant\frac{n+1}{4}\cos^{2n}\left(\frac{\delta}{2}\right)\]

Or, par croissances comparées :

    \[\lim_{n\rightarrow\infty}\frac{n+1}{4}\cos^{2n}\left(\frac{\delta}{2}\right)=0\]

et finalement :

    \[\boxed{\lim_{n\rightarrow\infty}\sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)=0}\qquad\left(\diamondsuit\right)\]

Ensuite, cela ne saute pas aux yeux, mais :

Les \varphi_{n} sont des polynômes trigonométriques (cliquer pour déplier / replier)

Pour le voir, on se sert de la formule d’Euler pour le cosinus et de la formule du binôme afin de linéariser l’expression \cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right).

Pour tout t\in\mathbb{R} :

    \begin{equation*}\begin{split}\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right) & = \left(\frac{e^{it/2}+e^{-it/2}}{2}\right)^{2n}\\  & = \frac{1}{2^{2n}}\sum_{k=0}^{2n}\,\binom{2n}{k}\,e^{ikt/2}\,e^{-i\left(2n-k\right)t/2}\\& = \frac{1}{4^{n}}\,\sum_{k=0}^{2n}\,\binom{2n}{k}\,e^{i\left(k-n\right)t}\end{split}\end{equation*}

Cette quantité étant réelle, elle est égale à sa partie réelle :

    \[\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right)=\frac{1}{4^{n}}\,\sum_{k=0}^{2n}\,\binom{2n}{k}\,\cos\left(\left(k-n\right)t\right)\]

En isolant le terme central, puis en séparant en deux la somme restante, il vient :

    \begin{equation*}\begin{split}\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right) & = \frac{1}{4^{n}}\binom{2n}{n}\\& +\frac{1}{4^{n}}\,\sum_{k=0}^{n-1}\binom{2n}{k}\cos\left(\left(k-n\right)t\right)\\& +\frac{1}{4^{n}}\,\sum_{k=n+1}^{2n}\binom{2n}{k}\cos\left(\left(k-n\right)t\right)\end{split}\end{equation*}

En multipliant par K_{n}, en ré-indexant les deux sommes puis en regroupant :

    \[\varphi_{n}\left(t\right) & = & \frac{K_{n}}{4^{n}}\left[\binom{2n}{n}+\sum_{k=1}^{n}\left(\binom{2n}{n-k}+\binom{2n}{n+k}\right)\cos\left(kt\right)\right]\]

Comme ceci vaut pour tout t, on en déduit que :

    \[\varphi_{n}=\frac{K_{n}}{4^{n}}\left[\binom{2n}{n}c_{0}+\sum_{k=1}^{n}\left(\binom{2n}{n-k}+\binom{2n}{n+k}\right)c_{k}\right]\]

et donc \varphi_{n}\in\mathcal{T}_{n}.

Posons ensuite, pour tout \left(n,x\right)\in\mathbb{N}\times\mathbb{R} :

    \[\boxed{f_{n}\left(x\right)={\displaystyle \int_{-\pi}^{\pi}f\left(x-t\right)\thinspace\varphi_{n}\left(t\right)\,dt}}\]

On constate alors que :

Chaque f_{n} est un polynôme trigonométrique (cliquer pour déplier / replier)

En effet, en posant s=x-t dans l’intégrale précédente, on voit que :

    \[f_{n}\left(x\right)=\int_{x-\pi}^{x+\pi}f\left(s\right)\thinspace\varphi_{n}\left(x-s\right)\,ds\]

Comme l’application s\mapsto f\left(s\right)\thinspace\varphi_{n}\left(x-s\right) est 2\pi-périodique, son intégrale sur un segment de longueur 2\pi ne dépend pas du segment choisi. Ainsi :

    \[f_{n}\left(x\right)=\int_{-\pi}^{\pi}f\left(s\right)\,\varphi_{n}\left(x-s\right)\,ds\]

Par ailleurs, on a vu qu’il existe des réels \lambda_{0},\cdots,\lambda_{n} tels que :

    \[\forall t\in\mathbb{R},\,\varphi_{n}\left(t\right)=\sum_{k=0}^{n}\,\lambda_{k}\,\cos\left(kt\right)\]

et donc, pour tout x\in\mathbb{R} :

    \begin{equation*}\begin{split}f_{n}\left(x\right) & = \sum_{k=0}^{n}\,\lambda_{k}\,\left(\int_{-\pi}^{\pi}f\left(s\right)\,\cos\left(k\left(x-s\right)\right)\,ds\right)\\& =\sum_{k=0}^{n}\,\lambda_{k}\left(\alpha_{k}\cos\left(kx\right)+\beta_{k}\,\sin\left(kx\right)\right)\end{split}\end{equation*}

où l’on a posé :

    \[\alpha_{k}=\int_{-\pi}^{\pi}f\left(s\right)\,\cos\left(ks\right)\,ds\qquad\text{et}\qquad\beta_{k}=\int_{-\pi}^{\pi}f\left(s\right)\,\sin\left(ks\right)\,dx\]

Manifestement : f_{n}\in\mathcal{T}_{n}.

La suite \left(f_n\right)_{n\in\mathbb{N}} converge uniformément sur \mathbb{R} vers f (cliquer pour déplier / replier)

Ensuite, comme \int_{-\pi}^{\pi}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt=1, on peut écrire artificiellement la différence f\left(x\right)-f_{n}\left(x\right) sous la forme :

    \[f\left(x\right)-f_{n}\left(x\right)=\int_{-\pi}^{\pi}\,\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\]

Posons :

    \[\left\{\begin{array}{ccc}A_{n}\left(x\right) & = & \int_{-\pi}^{-\delta}\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt+\int_{\delta}^{\pi}\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\\\\B_{n}\left(x\right) & = & \int_{-\delta}^{\delta}\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\end{array}\right.\]

de sorte que :

    \[f\left(x\right)-f_{n}\left(x\right)=A_{n}\left(x\right)+B_{n}\left(x\right)\]

Pour tout x\in\mathbb{R}, on a d’une part :

    \begin{equation*}\begin{split}\left|A_{n}\left(x\right)\right| & \leqslant 2\,\left\Vert f\right\Vert_{\infty}\,\left(\int_{-\pi}^{-\delta}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt+\int_{\delta}^{\pi}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\right)\\& \leqslant 4\,\left\Vert f\right\Vert_{\infty}\,\left(\pi-\delta\right)\,\sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)\qquad\textrm{(car }\varphi_{n}\textrm{ est paire)}\\& \leqslant 4\pi\,\left\Vert f\right\Vert {\infty}\,\sup{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)\end{split}\end{equation*}

et d’autre part :

    \begin{equation*}\begin{split}\left|B_{n}\left(x\right)\right| & \leqslant \int_{-\delta}^{\delta}\,\left|f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right|\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\\& \leqslant \left(\int_{-\delta}^{\delta}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\right)\,\sup_{\left|t\right|\leqslant\delta}\left|f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right|\end{split}\end{equation*}

Ainsi, d’après l’inégalité triangulaire :

    \begin{equation*}\begin{split}\left|f\left(x\right)-f_{n}\left(x\right)\right| & \leqslant \left|A_{n}\left(x\right)\right|+\left|B_{n}\left(x\right)\right|\\& \leqslant 4\pi\,\left\Vert f\right\Vert_{\infty}\,\sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)+\sup_{\left|t\right|\leqslant\delta}\left|f\left(u\right)-f\left(u-t\right)\right|\end{split}\end{equation*}

Or \int_{-\delta}^{\delta}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\leqslant\int_{-\pi}^{\pi}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt=1, et donc :

    \[ \left|B_{n}\left(x\right)\right|\leqslant\sup_{\left|t\right|\leqslant\delta}\left|f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right|\]

D’après le théorème de Heine, il existe, étant donné \varepsilon>0, un réel \delta>0 tel que :

    \[ \forall\left(x,y\right)\in\mathbb{R}^{2},\,\left|x-y\right|\leqslant\delta\Rightarrow\left|f\left(x\right)-f\left(y\right)\right|\leqslant\frac{\varepsilon}{2}\]

Par ailleurs, d’après \left(\diamondsuit\right), il existe n_{0}\in\mathbb{N} tel que, pour tout entier n\geqslant n_{0} :

    \[ \sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)\leqslant\frac{\varepsilon}{8\pi\left\Vert f\right\Vert _{\infty}}\]

Noter que cette affirmation suppose f non identiquement nulle (mais ce qu’il faut prouver est évident pour la fonction nulle !).

On voit finalement que :

    \[ n\geqslant n_{0}\Rightarrow\forall x\in\mathbb{R},\,\left|f\left(x\right)-f_{n}\left(x\right)\right|\leqslant\varepsilon\]


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