
Ce texte propose une présentation détaillée de la notion de continuité uniforme, pour une application à valeurs réelles, définie sur un intervalle de
.
On y prouve notamment le théorème de Heine : toute application continue sur un segment, à valeurs réelles, est uniformément continue.
En guise d’application, on établit ensuite le théorème de Weierstrass trigonométrique, selon lequel toute application continue et
périodique de
dans
est limite uniforme d’une suite de polynômes trigonométriques.
Une assez bonne habitude de l’analyse réelle est requise, comme préalable à la lecture de cet article.
Dans ce qui suit,
désigne un intervalle non trivial de
(c’est-à-dire : ni vide, ni réduit à un singleton).
1 – Lien avec la continuité ordinaire
Définition
Une application
est dite uniformément continue lorsque :
(
) ![]()
En substance, cette définition dit qu’on peut rendre l’écart entre
et
arbitrairement petit, pourvu que
et
soient assez proches l’un de l’autre.
La différence entre la notion de continuité et celle de continuité uniforme ne saute peut-être pas aux yeux …
Comparons donc
avec la définition formalisée de la continuité.
Rappelons que
est dite continue sur
si, et seulement si,
est continue en
pour tout
ce qui s’écrit :
(
) ![]()
La différence formelle entre
et
consiste donc en la position d’un quantificateur universel :

- Dans l’assertion
ne dépend que de 
- Dans l’assertion
dépend a priori de
et de 
On observe que, dans l’énoncé
le nombre
convient à chaque
particulier, ce qui exprime une certaine uniformité, d’où la terminologie.
Les deux propositions suivantes sont évidentes (on désormais UC pour « uniformément continue ») :
Proposition 1
Soient
deux intervalles tels que
(avec
non trivial).
Si
est UC, alors la restriction de
à
est UC.
Proposition 2
Toute application UC est continue.
Attention : la continuité n’implique pas la continuité uniforme !
Contre-Exemple 1
L’application
(qui est continue puisque polynomiale) n’est pas UC.
Pour montrer cela, on s’assure que la négation de
est vérifiée par
c’est-à-dire que :
![]()
Constatons que
convient (tout
ferait tout aussi bien l’affaire …). Pour tout
et pour tout
:
![]()
![]()
C’était intuitivement clair : peu importe la valeur de
on parvient toujours à rendre l’écart entre
et
plus grand que 1, en prenant
assez grand.
En revanche, si l’on considère plutôt
![]()
![]()
En effet, étant donné
si l’on pose
alors pour tout
:
![]()
Généralisons ce qui vient d’être observé …
2 – Caractère lipschitzien et continuité uniforme
Définition
Une application
est dite lipschitzienne lorsque l’ensemble des pentes des cordes de son graphe est borné.
Cela se traduit formellement par l’existence d’un réel
tel que
(
) ![]()
On dit alors que
est
lipschitzienne ou bien qu’elle est lipschitzienne de rapport ![]()
Proposition 3
Toute application lipschitzienne est UC.
Soit
une application
lipschitzienne (avec
c’est-à-dire vérifiant ![]()
Etant donné
si l’on pose
alors pour tout
vérifiant
:
![]()
Corollaire
Toute application dérivable, dont la dérivée est bornée, est UC.
L’hypothèse entraîne en effet, d’après la formule des accroissements finis, que
est lipschitzienne.
En particulier, si
est un segment et si
est de classe
alors
est bornée (application continue sur un segment) et donc
est UC d’après ce corollaire.
Bien entendu, pas de réciproque pour le corollaire puisqu’une application UC n’a aucune raison d’être dérivable (penser par exemple à la valeur absolue).
Pour finir, la réciproque de l’implication énoncée à la proposition 3 est fausse. En effet :
Contre-Exemple 2
L’application
n’est pas lipschitzienne puisque, pour tout
:
![]()
Elle est pourtant UC. Pour le voir, montrons d’abord que :
(
) ![]()
Il suffit de traiter le cas où
pour lequel on constate que :

Maintenant, fixons
et choisissons ![]()
On voit que, pour tout
vérifiant
:
![]()
Schématiquement, nous avons vu à ce stade que :
![]()
Le sigle DDB signifiant « dérivable à dérivée bornée ».
3 – Le théorème de Heine
Nous avons vu plus haut un exemple d’application continue mais non UC sur un intervalle
(il s’agissait de ![]()
Dans le cas où
est un intervalle compact (c’est-à-dire un segment : intervalle de la forme
avec
il se passe quelque chose de très spécial …
Théorème (HEINE)
Si
est un segment et si
est continue, alors
est UC.

La démonstration qui suit repose essentiellement sur le théorème de Bolzano-Weierstrass (selon lequel on peut, de toute suite réelle bornée, extraire une sous-suite convergente). Ce résultat est admis ici (pour une preuve courte voir l’exercice n° 9 de cette fiche ou encore consulter le lexique).
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Supposons
non uniformément continue. Il existe donc
tel que :
![]()
En choisissant
(pour tout
on peut construire deux suites
et
à termes dans
vérifiant :
![]()
D’après Bolzano-Weierstrass, il existe une suite
extraite de
qui converge vers un élément
de
La relation :
![]()
La continuité de
en
entraîne alors la convergence de chacune des suites
et
vers ![]()
Par conséquent, dès que
est assez grand :
![]()
Les applications du théorème de Heine ne manquent pas.
Je vous en propose trois : les deux premières sont anecdotiques (ce sont, au mieux, des exercices intéressants), tandis que la troisième constitue un résultat significatif (et joue notamment un rôle en théorie des séries de Fourier).
Vous trouverez une autre application du théorème de Heine dans cet article.
4 – Deux exercices sympathiques
Exercice 1
Montrer que si
est continue, alors
est « presque » lipschitzienne, au sens suivant :
![]()
Solution proposée pour l’ex. 1 (cliquer pour déplier / replier)
Soit
D’après le théorème de Heine, il existe
tel que :
![]()
Par ailleurs,
est bornée (car continue sur un segment) :
![]()
![]()
Finalement, en posant
on voit que pour tout
:
![]()
Exercice 2
Montrer que si
est continue et admet une limite finie en
alors
est UC.
Solution proposée pour l’ex. 2 (cliquer pour déplier / replier)
Notons
la limite de
en ![]()
Nous allons prouver qu’étant donné
l’écart
pourra être rendu inférieur à
dès que
sont assez proches.
Par définition d’une limite, il existe
tel que :
![]()
Soit maintenant ![]()
Envisageons trois cas selon que :
et
appartiennent à 
et
appartiennent à ![Rendered by QuickLaTeX.com \left[a,A\right]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-ae7af49ec22d28e49eeaea0aaf31abd0_l3.png)
et
se situent de part et d’autre de 
D’après l’inégalité triangulaire :
(
) ![]()
D’après le théorème de Heine,
est uniformément continue sur
Il existe donc
tel que :
(
) ![]()
Enfin, si
et
alors d’une part
d’où
d’après
et d’autre part
d’après
. Donc :
![]()
On a montré que :
![]()
Noter que la réciproque de l’implication établie à l’exercice 2 est fausse.
Il existe en effet des applications
uniformément continues et admettant une limite infinie en
(il suffit de considérer
).
Il en existe même n’admettant pas de limite du tout en
…!
Exemple
Considérons l’application :
![]()
- d’une part, comme
est
lipschitzienne et d’après une inégalité établie plus haut (pour la racine carrée) :
ce qui montre que![Rendered by QuickLaTeX.com \[\left|\cos\left(\sqrt{x}\right)-\cos\left(\sqrt{y}\right)\right|\leqslant\left|\sqrt{x}-\sqrt{y}\right|\leqslant\sqrt{\left|x-y\right|}\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-868ed7de8ccf23dedb56345cbd746e84_l3.png)
est UC. - d’autre part, la suite
diverge vers
alors que
n’admet pas de limite. Par conséquent
ne possède pas de limite en 
5 – Le théorème de Weierstrass trigonométrique
Soit
l’espace vectoriel des applications continues et
périodiques de
dans ![]()
On munit
de la norme de la convergence uniforme :
![]()
Noter, si
est un segment de longueur
alors en raison de la
périodicité :
![]()
Pour tout
on note
et
les applications respectivement définies par :
![]()
Pour tout
on désigne par
le sous-espace de
engendré par la famille
On note aussi
le sous-espace constitué des applications constantes.
Comme
est une famille croissante pour l’inclusion, l’ensemble
est un sous-espace vectoriel de
Ses éléments sont appelés « polynômes trigonométriques ».
On établit maintenant le :
Théorème (WEIERSTRASS, version trigonométrique)
est une partie dense de ![]()
Autrement dit, toute application
continue et
périodique est limite uniforme sur
(ou, ce qui revient au même, sur
d’une suite de polynômes trigonométriques.
On va prouver ce résultat en définissant une suite
par :
![]()
On dit que
est le produit de convolution de
par
.
On constatera que :
- chaque
est un polynôme trigonométrique, - la suite
converge uniformément sur
vers 
ce qui donnera la conclusion. Voyons maintenant les choses de plus près…
Preuve détaillée du théorème (cliquer pour déplier / replier)
On commence par construire les
. (cliquer pour déplier / replier)
L’idée est qu’élevant à une grande puissance la restriction à
de
, on obtient quelque chose comme ceci :

Il faut ensuite « normer », c’est-à-dire multiplier chaque fonction par un coefficient convenable, afin de forcer l’intégrale à valoir 1.
Posons donc , pour tout
:
![]()
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\boxed{\int_{-\pi}^{\pi}\varphi_{n}\left(t\right)\thinspace dt=1}\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-640fc69c35c9a759f40d3699e485a9e4_l3.png)
Pour tout
:
![]()

En posant
dans cette dernière intégrale, il vient :
![]()
On voit donc que :
![]()
![]()
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\boxed{K_{n}\leqslant\frac{n+1}{4}}\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-94d9144a89d19c954619fcd2ff6dba05_l3.png)
Soit maintenant
Comme
décroît sur
alors pour tout
:
![]()
Ce dernier majorant est indépendant de
donc :
![]()
Or, par croissances comparées :
![]()
![]()
Ensuite, cela ne saute pas aux yeux, mais :
Les
sont des polynômes trigonométriques (cliquer pour déplier / replier)
Pour le voir, on se sert de la formule d’Euler pour le cosinus et de la formule du binôme afin de linéariser l’expression ![]()
Pour tout
:

Cette quantité étant réelle, elle est égale à sa partie réelle :
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\cos^{2n}\left(\frac{t}{2}\right)=\frac{1}{4^{n}}\,\sum_{k=0}^{2n}\,\binom{2n}{k}\,\cos\left(\left(k-n\right)t\right)\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-ed766f057724bfc062d03dd89ff6ef85_l3.png)
En isolant le terme central, puis en séparant en deux la somme restante, il vient :

En multipliant par
en ré-indexant les deux sommes puis en regroupant :
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\varphi_{n}\left(t\right) & = & \frac{K_{n}}{4^{n}}\left[\binom{2n}{n}+\sum_{k=1}^{n}\left(\binom{2n}{n-k}+\binom{2n}{n+k}\right)\cos\left(kt\right)\right]\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-a2458912528ec497c3853cd4c9738cd3_l3.png)
Comme ceci vaut pour tout
on en déduit que :
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\varphi_{n}=\frac{K_{n}}{4^{n}}\left[\binom{2n}{n}c_{0}+\sum_{k=1}^{n}\left(\binom{2n}{n-k}+\binom{2n}{n+k}\right)c_{k}\right]\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-e0a84613d0a7f04bc6ad1436cfd4628b_l3.png)
Posons ensuite, pour tout
:
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\boxed{f_{n}\left(x\right)={\displaystyle \int_{-\pi}^{\pi}f\left(x-t\right)\thinspace\varphi_{n}\left(t\right)\,dt}}\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-e9aa257ec8479ca6fdba3be4f6fce87c_l3.png)
On constate alors que :
Chaque
est un polynôme trigonométrique (cliquer pour déplier / replier)
En effet, en posant
dans l’intégrale précédente, on voit que :
![]()
Comme l’application
est
périodique, son intégrale sur un segment de longueur
ne dépend pas du segment choisi. Ainsi :
![]()
Par ailleurs, on a vu qu’il existe des réels
tels que :
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\forall t\in\mathbb{R},\,\varphi_{n}\left(t\right)=\sum_{k=0}^{n}\,\lambda_{k}\,\cos\left(kt\right)\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-ed234f0fa18b2d45b780734ae61935ef_l3.png)

![]()
Manifestement : ![]()
La suite
converge uniformément sur
vers
(cliquer pour déplier / replier)
Ensuite, comme
on peut écrire artificiellement la différence
sous la forme :
![]()
Posons :
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\left\{\begin{array}{ccc}A_{n}\left(x\right) & = & \int_{-\pi}^{-\delta}\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt+\int_{\delta}^{\pi}\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\\\\B_{n}\left(x\right) & = & \int_{-\delta}^{\delta}\left(f\left(x\right)-f\left(x-t\right)\right)\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\end{array}\right.\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-58160adbcfed5f8668c7a6f6ec0c6c94_l3.png)
![]()
Pour tout
on a d’une part :
![Rendered by QuickLaTeX.com \begin{equation*}\begin{split}\left|A_{n}\left(x\right)\right| & \leqslant 2\,\left\Vert f\right\Vert_{\infty}\,\left(\int_{-\pi}^{-\delta}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt+\int_{\delta}^{\pi}\,\varphi_{n}\left(t\right)\,dt\right)\\& \leqslant 4\,\left\Vert f\right\Vert_{\infty}\,\left(\pi-\delta\right)\,\sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)\qquad\textrm{(car }\varphi_{n}\textrm{ est paire)}\\& \leqslant 4\pi\,\left\Vert f\right\Vert {\infty}\,\sup{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)\end{split}\end{equation*}](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-1263727b9b6b3cc35c874cdc21bee47a_l3.png)

Ainsi, d’après l’inégalité triangulaire :
![Rendered by QuickLaTeX.com \begin{equation*}\begin{split}\left|f\left(x\right)-f_{n}\left(x\right)\right| & \leqslant \left|A_{n}\left(x\right)\right|+\left|B_{n}\left(x\right)\right|\\& \leqslant 4\pi\,\left\Vert f\right\Vert_{\infty}\,\sup_{t\in\left[\delta,\pi\right]}\varphi_{n}\left(t\right)+\sup_{\left|t\right|\leqslant\delta}\left|f\left(u\right)-f\left(u-t\right)\right|\end{split}\end{equation*}](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-46089c88a1270ebd9b9844659a0a6f12_l3.png)
Or
et donc :
![]()
D’après le théorème de Heine, il existe, étant donné
un réel
tel que :
![]()
Par ailleurs, d’après
, il existe
tel que, pour tout entier
:
![]()
Noter que cette affirmation suppose
non identiquement nulle (mais ce qu’il faut prouver est évident pour la fonction nulle !).
On voit finalement que :
![]()
Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.
