Cet article est une introduction à l’étude des intégrales impropres.
Le contexte a été restreint aux applications continues sur un intervalle, à valeurs réelles. Cette limitation n’empêchera pas de mettre en évidence les principaux aspects du sujet.
On suppose connues les propriétés de base de l’intégrale d’une application continue, définie sur un segment (intervalle fermé borné) et à valeurs réelles : linéarité, positivité, inégalité du module, relations de Chasles, … On pourra se reporter à cet article pour consulter les énoncés détaillés de chacune de ces propriétés.
Dans un premier temps (sections 1 à 6), on se limite à des intégrales de la forme Cette restriction temporaire permet à celles et ceux qui ne sont pas déjà familiarisés avec le sujet, d’y pénétrer plus facilement. Le cadre est ensuite élargi, autorisant un intervalle d’intégration quelconque et des intégrales multiplement impropres.
1 – Notion d’intégrale impropre
Considérons une application continue le réel étant fixé.
Pour tout on définit l’intégrale partielle de sur :
Lorsque admet en une limite finie on dit que l’intégrale impropre est convergente. On note alors :
Dans le cas contraire (c’est-à-dire lorsque ou bien lorsque n’admet pas de limite en cette intégrale est dite divergente.
Le symbole désigne donc deux choses à la fois :
- d’une part, l’intégrale impropre en tant qu’objet algébrique, qu’elle soit convergente ou divergente,
- d’autre part, la fameuse limite (en cas de convergence), qui est un nombre réel.
Cette ambiguïté n’est pas gênante, car le contexte permet toujours de s’y retrouver.
Procédure de base :
Pour déterminer si une intégrale impropre donnée est convergente ou non, la procédure la plus simple consiste, lorsque c’est possible, à :
- calculer d’abord l’intégrale partielle de façon explicite,
- examiner ensuite si celle-ci admet (ou non) une limite finie en
Toutefois, le calcul explicite de l’intégrale partielle est généralement hors de portée, ce qui limite cette procédure aux cas les plus simples.
Malgré cela, il reste souvent possible de préciser la nature d’une intégrale impropre et même (quoique beaucoup plus rarement) d’en calculer explicitement la valeur en cas de convergence, même si l’on ne sait pas expliciter l’intégrale partielle (voir l’exemple 4 ci-dessous) !
Exemple 1
Considérons :
et posons, pour tout :
Une simple intégration par parties (si nécessaire, consulter cet article) donne :
d’où facilement :
Ce calcul montre que l’intégrale impropre converge et que :
Exemple 2
Considérons maintenant :
et posons, pour tout :
En posant dans cette dernière intégrale, on obtient :
Ainsi, et l’intégrale impropre est donc divergente.
Exemple 3
Considérons encore :
Pour tout :
et cette dernière quantité ne possède pas de limite lorsque
Il s’agit donc d’une intégrale divergente, quoique d’un style différent du précédent.
Exemple 4
Pour chacun des exemples 1 à 3, il était facile de calculer explicitement l’intégrale partielle. A présent, intéressons-nous à :
Vous pouvez essayer de calculer explicitement : en intégrant par parties, en changeant de variable, en combinant ces techniques … Vous n’arriverez à rien.
Pour autant, la question de savoir si admet en une limite finie (ou non) reste posée. Et la réponse est intéressante, à plus d’un titre !
On peut en effet montrer que l’intégrale impropre (appelée intégrale de Gauss, encore que cette dénomination soit discutable …) est convergente et, plus précisément, que :
Ce résultat est spectaculaire, d’une part parce que le calcul explicite de n’est pas possible au moyen des fonctions élémentaires (mais encore faut-il donner un sens précis à cette affirmation, ce qui n’est pas simple …) et d’autre part en raison de la forme du résultat (intervention inattendue du nombre
Si l’étude de cette intégrale vous intéresse, je vous invite à jeter un œil à l’exercice n° 6 de cette fiche.
2 – Comparaison de fonctions positives
Principe de comparaison
Soient deux applications continues telles que :
Si l’intégrale impropre converge, alors il en va de même pour .
Une simple inégalité peut donc suffire pour établir la convergence d’une intégrale impropre, sans avoir à calculer l’intégrale partielle associée (ce qui, comme on l’a dit, n’est pas faisable en général) et encore moins la limite éventuelle de celle-ci.
Si vous connaissez déjà le principe de comparaison pour les séries numériques à termes positifs, vous constaterez la profonde analogie entre les deux énoncés.
Le principe de comparaison repose pour l’essentiel sur le théorème de la limite monotone, qui est l’analogue, pour les fonctions, du célèbre « toute suite réelle, croissante et majorée, est convergente« .
En voici une preuve détaillée :
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Posons, pour tout :
D’après l’hypothèse et par croissance de l’intégrale :
Par ailleurs, on a supposé que admet en une limite finie : notons-la
Comme est croissante (en raison de la positivité de on voit que (il suffit de choisir et d’effectuer un passage à la limite dans l’inégalité lorsque Ainsi, pour tout :
Finalement, est croissante (en raison de la positivité de et majorée (par donc possède en une limite finie (d’après le théorème de la limite monotone).
La convergence de l’intégrale impropre est établie.
En outre, en notant un simple passage à la limite dans l’inégalité montre que
Ajoutons quelques remarques, qui viennent nuancer cette proposition.
Remarque 1
La nature (convergence ou divergence) de l’intégrale impropre ne dépend que du comportement de au voisinage de
En particulier, si la condition est remplacée par la condition plus faible :
alors la convergence de entraîne toujours celle de
Remarque 2
Si et si diverge, on ne peut rien dire de la nature de Cette dernière intégrale peut, selon les cas, converger ou diverger.
Remarque 3
Si et si diverge, alors diverge aussi. C’est la forme contraposée du principe de comparaison.
3 – Intégrales de référence
Disposer d’un principe de comparaison n’a d’intérêt que si l’on dispose aussi de fonctions positives (et continues sur ) pour lesquelles la nature de l’intégrale impropre est connue.
On parle alors d’intégrales de référence … ce qui, au fond, ne veut rien dire car l’étendue de cette classe peut varier d’un cours à l’autre ! Néanmoins, tout le monde s’accorde pour y inclure, au minimum, les intégrales de la forme :
pour fixé.
Certains les appellent à tort « intégrales de Riemann », sans doute par glissement sémantique, vu que les séries sont officiellement dénommées « séries de Riemann ». En outre, l’expression « intégrale de Riemann » désigne tout à fait autre chose …
Proposition
Etant donné l’intégrale converge si, et seulement si
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Supposons d’abord Pour tout :
- Si alors donc et donc
- Si alors et donc
Enfin, si l’intégrale partielle prend la forme et donc
La conclusion en résulte.
Il est courant d’inclure aussi les intégrales de la forme (avec et a priori quelconque). Afin d’alléger la présentation, on se contentera ici d’un énoncé (pour les détails, voir l’exercice n° 4 de cette fiche).
Proposition (intégrales de Bertrand)
Etant donné l’intégrale impropre
converge si, et seulement si :
4 – Règle des équivalents
Proposition
Soient continues.
On suppose que :
- lorsque
- pour assez grand.
Alors les intégrales et sont de même nature (ce qui signifie qu’elles sont toutes les deux convergentes ou bien toutes les deux divergentes).
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
Comme lorsque il existe tel que :
En cas de convergence de l’inégalité de droite montre (via le principe de comparaison et la remarque 1 qui le suit) que converge.
En cas de divergence de on voit de même que diverge (avec l’inégalité de gauche cette fois).
Exemple 1
Quelle est la nature de l’intégrale ?
Comme :
et vu que cette intégrale est convergente.
Exemple 2
Quelle est la nature de l’intégrale ?
Au voisinage de :
donc :
A nouveau, la règle des équivalents s’applique et l’intégrale proposée converge.
Exemple 3
Quelle est la nature de l’intégrale ?
Au voisinage de :
On a affaire, cette fois, à une intégrale divergente.
Parmi les hypothèses de la règle des équivalents, figure la condition : pour assez grand.
Cette condition peut évidemment être remplacée par : pour assez grand. En clair, on demande à d’être de signe constant au voisinage de (ce qui impose la même chose à puisque l’équivalence préserve localement le signe).
Mais attention, sans aucune condition de signe, notre brave règle des équivalents ne s’applique plus !
Voir la section 6 pour un contre-exemple.
5 – Convergence absolue
Considérons une application continue
Définition
L’intégrale impropre est dite absolument convergente lorsque l’intégrale est convergente.
Le résultat suivant est fondamental :
Théorème
Si l’intégrale est absolument convergente, alors elle est convergente.
Preuve (cliquer pour déplier / replier)
On constate que mais bien entendu, il n’est pas question d’appliquer le principe de comparaison de cette façon, puisqu’on n’a pas la positivité du membre de gauche !
Toutefois, en y regardant de plus près, cette majoration peut aussi s’écrire :
et cette fois-ci, le membre de gauche est positif ou nul !!
On peut donc finalement appliquer le principe de comparaison : l’intégrale impropre étant convergente, il en va de même de et donc, par différence, l’intégrale est convergente. CQFD.
Voyons un exemple d’utilisation.
Exemple
Quelle est la nature de l’intégrale ?
Il suffit d’observer que :
et de se rappeler que l’intégrale est convergente, pour conclure que est absolument convergente, donc convergente tout court.
Facile, n’est-ce pas ? Mais attention, la réciproque de la proposition précédente est fausse : il existe des intégrales convergentes, mais non absolument convergentes. De telles intégrales sont dites semi-convergentes. La section 7 en donne un exemple détaillé.
6 – Deux intégrales de natures distinctes, malgré l’équivalence
Commençons par nous intéresser à l’intégrale impropre :
Afin de savoir si cette intégrale converge, posons pour tout :
Cette intégrale partielle n’est pas calculable explicitement, mais on peut effectuer une intégration par parties, en posant :
ce qui donne :
c’est-à-dire :
où l’on a posé :
Comme on voit que l’intégrale est absolument convergente, donc convergente (voir section précédente). De ce fait, on peut poser :
ce qui entraîne :
Nous avons établi que l’intégrale est convergente. Considérons maintenant l’intégrale impropre :
Il est clair qu’au voisinage de :
En appliquant la règle des équivalents à ce cas de figure, on conclurait que les intégrales et sont de même nature, autrement dit que est convergente.
Mais il n’en est rien !
En effet, lorsque :
et donc :
ce qui fait apparaître trois contributions.
La première, donne une intégrale convergente comme on l’a déjà expliqué (il s’agit de et la troisième donne une intégrale absolument convergente (si une fonction continue vérifie lorsque alors il existe tel que
d’où le résultat par comparaison). Quant à la seconde, elle donne une intégrale divergente puisque :
or l’intégrale diverge tandis que l’intégrale converge (non détaillé : preuve en tous points analogue à celle de la convergence de
L’intégrale est donc bien divergente. Résumons :
Si sont deux applications continues, alors les intégrales impropres et peuvent être de natures différentes, même si au voisinage de
Pour que la règle des équivalents (cf. section 4) soit applicable, il est indispensable que l’une des deux fonctions soit localement de signe constant (ce qui impose la même propriété pour l’autre).
Précisons que « localement » signifie ici : sur pour assez grand.
7 – Intégrales semi-convergentes
On examine dans cette section un exemple détaillé d’intégrale semi-convergente, c’est-à-dire convergente mais non absolument convergente.
Reprenons l’intégrale introduite au début de la section 6. Nous avons établi sa convergence. Montrons maintenant que l’intégrale diverge. En posant, pour tout :
il s’agit de montrer que :
On peut envisager deux méthodes …
– Méthode 1 –
On va montrer que ce qui permettra de conclure puisque est croissante (intégrale partielle d’une fonction positive).
Pour tout entier la relation de Chasles donne :
or, pour tout on obtient en changeant de variable :
Ainsi, pour tout :
d’où le résultat annoncé, puisque la série de Riemann diverge.
– Méthode 2 –
On exploite le fait que
Ainsi, pour tout et via une formule de linéarisation :
où l’on a posé :
et :
Or, d’une part, il est clair que et, d’autre part, admet en une limite finie (appliquer la méthode développée à la section 6 pour l’intégrale : intégration par parties + convergence absolue). En particulier est bornée.
On en déduit le résultat attendu :
8 – Cas d’un intervalle d’intégration semi-ouvert borné
On s’est restreint, depuis le début de cet article, à des intégrales de fonctions continues sur des intervalles de la forme
Autrement dit, les intégrales considérées étaient impropres pour la borne On change maintenant le fusil d’épaule …
Etant donnés deux réels et continue, posons pour tout :
et intéressons-nous à la limite éventuelle de lorsque tend vers (par valeurs supérieures).
Si cette limite existe et est finie, l’intégrale (qui est impropre pour la borne est dite convergente et ce symbole désigne aussi la limite en question.
Signalons pour commencer que si possède en une limite finie , il suffit de prolonger par continuité en , en posant
pour se ramener au cas ordinaire de l’intégrale d’une fonction continue sur un segment. L’intégrale est alors dite faussement impropre.
Exemple
L’intégrale :
est faussement impropre en 0, vu que
Les choses deviennent plus intéressantes lorsqu’un tel prolongement par continuité n’est pas possible. C’est typiquement le cas lorsque (mais il se peut aussi que n’admette tout simplement pas de limite en ).
Par exemple, l’intégrale (qui est impropre pour la borne 0) est convergente car :
On peut alors énoncer un principe de comparaison, très semblable à celui présenté à la section 2 :
Principe de comparaison (bis)
Soient deux applications continues telles que :
Si l’intégrale impropre converge, alors il en va de même pour
Comme expliqué à la section 3, il nous faut des intégrales « de référence » !
Voici le minimum syndical :
Proposition
L’intégrale impropre :
est convergente si, et seulement si
Par exemple, pour l’intégrale on peut voir que :
d’où l’on déduit sa convergence, puisque l’intégrale converge.
On dispose aussi d’une règle des équivalents (conséquence du principe de comparaison) :
Règle des équivalents (bis)
Soient continues. On suppose que lorsque
On suppose en outre que pour assez proche de Alors les intégrales et sont de même nature (ce qui signifie qu’elles sont toutes les deux convergentes ou bien toutes les deux divergentes).
Par exemple, pour l’intégrale on observe que :
ce qui prouve sa divergence, puisque l’intégrale diverge.
9 – Intégrales multiplement impropres
Evitons ici les généralités abstraites et contentons-nous d’exemples pour comprendre de quoi il retourne. L’intégrale
n’entre ni dans le cadre de la section 1 ni dans celui de la section 7, car elle est doublement impropre : pour la borne 0 et pour la borne
Pour traiter cette situation, on partage l’intervalle d’intégration. On considère les deux intégrales (simplement) impropres :
On pourrait d’ailleurs remplacer la borne 1 par tout autre nombre réel strictement positif.
Il s’agit alors de déterminer la nature de et de
➡ L’intégrale sera déclarée convergente à condition que et le soient.
Il se trouve que c’est le cas. En effet, l’équivalent
prouve que est convergente et la majoration
prouve que est aussi convergente (puisque c’est le cas de ce qu’on voit directement en calculant l’intégrale partielle).
Maintenant, généralisons et considérons pour tout réel l’intégrale :
L’intégrale précédente correspondait au cas particulier
Si cette intégrale est impropre pour la borne seulement. Pour établir sa convergence, on peut observer que (propriété bien connue de l’exponentielle qui « l’emporte », au voisinage de sur toute fonction puissance d’exposant fixe), ce qui entraîne l’existence d’un réel tel que :
c’est-à-dire :
d’où la conclusion, via le principe de comparaison (et de la remarque n° 1 qui la suit).
Mais si cette intégrale est doublement impropre (un problème en 0 s’est ajouté à celui en Là encore, on considère séparément les intégrales :
Pour la première, l’équivalent
montre qu’elle converge si, et seulement si .
Et pour la seconde, la convergence a déjà été prouvée ci-dessus (cf. majoration
On peut donc conclure :
Précisons que cet exemple n’a rien d’anecdotique. Il s’agit de la célèbre fonction Gamma d’Euler :
On prouve facilement par récurrence (voir l’exercice n° 3 de cette fiche) que :
La fonction prolonge donc la suite des factorielles.
Quant à l’intégrale du début, elle est étroitement liée à l’intégrale de Gauss (cf. fin de la section 1), puisque le changement de variable donne :
Voici, à titre indicatif, l’allure du graphe de la fonction :
10 – Une condition ni nécessaire ni suffisante
Les intégrales impropres et les séries numériques se ressemblent beaucoup, au moins par certains aspects :
- définition par l’existence d’une limite finie pour l’intégrale ou la somme partielle,
- principe de comparaison et règle des équivalents,
- convergence absolue …
Mais il existe aussi des différences notables. On connaît par exemple la :
Condition nécessaire de convergence (pour les séries numériques)
Soit une suite réelle.
Si la série converge, alors
La preuve de cette proposition est simple. Si l’on note la -ème somme partielle, définie par :
alors la suite converge par hypothèse vers un réel Or :
d’où la conclusion en passant à la limite.
Mais pour les intégrales impropres, rien de tel !
Proposition
Etant donnée continue, il n’existe AUCUN LIEN entre :
- la convergence de l’intégrale impropre
- le fait que
Pour justifier cette affirmation, nous allons devoir exhiber :
- un premier exemple où l’intégrale diverge, bien que tende vers 0 en
- un second exemple ou l’intégrale converge, bien que ne tende pas vers 0 en
➡ Le premier exemple est facile à trouver. Il suffit de considérer l’intégrale divergente :
➡ Le second sera moins immédiat, car si converge et si admet une limite en alors cette limite est nécessairement nulle (voir l’exercice n° 2 de cette fiche). Il nous faut donc une application ne possédant pas de limite en Considérons celle-ci :
Les suites et respectivement définies par :
divergent toutes deux vers et, d’évidence :
Ceci montre que ne possède effectivement pas de limite en Pourtant, pour tout :
d’où, en intégrant par parties :
et cette dernière expression admet une limite finie lorsque en raison de la convergence absolue de l’intégrale
Précisons qu’il est possible de montrer que :
Ces intégrales sont appelées intégrales de Fresnel.
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