Viser la cible !… ou : « Comment démontrer une implication ? »

1 – De quoi s’agit-il ?

En mathématiques, on doit souvent établir des implications.

Il s’agit d’énoncés du type :

Si P est vraie, alors Q est vraie

P et Q désignent deux propositions :
P est l‘hypothèse (ou la prémisse) et Q est la conclusion.

Ce qu’il ne faut absolument pas faire : ré-écrire l’hypothèse et la transformer, au petit bonheur la chance, en espérant parvenir ainsi jusqu’à la conclusion.

Ce qu’il faut faire : viser la cible (c’est-à-dire la conclusion).

Examinons quelques exemples …

2 – Un premier exemple

Etant donnés deux ensembles A et B, on demande d’établir :

    \[\boxed{A=A\cap B\Rightarrow A\subset B}\]

Cet exemple est rudimentaire, mais suffisant pour qu’on puisse déjà percevoir un principe général.

Ici, la cible est l’inclusion A\subset B. Il faut donc se donner un élément quelconque de A et prouver qu’il appartient nécessairement à B.

En cours de route, on utilisera bien sûr l’hypothèse… mais seulement au moment opportun !

Allons-y :

Preuve (cliquer pour déplier / replier)

Soit a\in A.
Comme A=A\cap B, alors a\in A\cap B, c’est-à-dire a\in A et a\in B.
En particulier : a\in B.

Remarquer l’utilisation du mot “ soit ”.

En écrivant “ Soit a\in A ”, on introduit un objet dans le contexte de la démonstration : il s’agit, en l’occurrence, d’un élément quelconque de A.

Il faut veiller à ce que les divers objets présents dans le contexte aient tous été introduits antérieurement (par nos soins ou bien par l’énoncé lui-même).

Il serait farfelu d’écrire “ Soient A,B deux ensembles ” dans cette preuve, puisque l’énoncé a déjà introduit ces deux objets !

Montrons maintenant que :

    \[\boxed{A\subset B\Rightarrow A\cap B=A}\]

C’est l’implication réciproque de la précédente : l’hypothèse et la conclusion ont été purement et simplement échangées.

Comme ci-dessus, on vise la cible, c’est-à-dire l’égalité A\cap B=A.

On sait que l’égalité entre deux ensembles consiste, par définition, en deux inclusions réciproques.

On doit donc se donner un quelconque élément de A\cap B et prouver qu’il appartient nécessairement à A, puis se donner un quelconque élément de A et prouver qu’il appartient nécessairement à A\cap B.

La première de ces deux inclusions est “ banale ” en ce sens qu’elle reste vraie, même sans l’hypothèse A\subset B. Elle est “vraie  en toute généralité ”, ce qui – en revanche – n’est pas le cas de la seconde implication. Voici ce qu’il faut faire :

Preuve (cliquer pour déplier / replier)

Soit a\in A. Par hypothèse : A\subset B, donc a\in B. Ainsi a\in A et a\in B. Autrement dit : a\in A\cap B.
On a montré que (sous l’hypothèse A\subset B) : A\subset A\cap B.
Quant à l’inclusion A\cap B\subset A, elle est vraie en toute généralité.

Au final, on a prouvé que chacune des assertions \left(A=A\cap B\right) et \left(A\subset B\right) implique l’autre. On exprime cela en disant que ces deux assertions sont équivalentes, ce qu’on note :

    \[\boxed{A=A\cap B\Leftrightarrow A\subset B}\]

3 – Une autre implication

Considérons f et g, deux applications de \mathbb{R} dans lui-même et prouvons que :

    \[\boxed{\left(f\mbox{ convexe et }g\mbox{ convexe croissante}\right)\Rightarrow\left(g\circ f\mbox{ convexe}\right)}\]

Avant tout, on identifie la cible ! Il s’agit de montrer, en notant u=g\circ f, que :

    \[\forall\left(x,y\right)\in\mathbb{R}^{2},\thinspace\forall t\in\left[0,1\right],\thinspace u\left(\left(1-t\right)x+ty\right)\leqslant\left(1-t\right)\thinspace u\left(x\right)+t\thinspace u\left(y\right)\]

On commence donc mécaniquement la preuve comme ceci :

Soient x,y\in\mathbb{R} et t\in\left[0,1\right]

et l’on s’efforce, après quelques étapes, d’aboutir à :

… et donc u\left(\left(1-t\right)x+ty\right)\leqslant\left(1-t\right)\thinspace u\left(x\right)+t\thinspace u\left(y\right)

Allons-y …

Preuve (cliquer pour déplier / replier)

Soient x,y\in\mathbb{R} et t\in\left[0,1\right]. Comme f est convexe, alors :

    \[f\left(\left(1-t\right)x+ty\right)\leqslant\left(1-t\right)\thinspace f\left(x\right)+t\thinspace f\left(y\right)\]

Comme g est croissante, il en résulte :

    \[g\left[f\left(\left(1-t\right)x+ty\right)\right]\leqslant g\left[\left(1-t\right)\thinspace f\left(x\right)+t\thinspace f\left(y\right)\right]\]

Puis, comme g est convexe :

    \[g\left[\left(1-t\right)\thinspace f\left(x\right)+t\thinspace f\left(y\right)\right]\leqslant\left(1-t\right)\thinspace g\left[f\left(x\right)\right]+t\thinspace g\left[f\left(x\right)\right]\]

Ainsi :

    \[g\left[f\left(\left(1-t\right)x+ty\right)\right]\leqslant\left(1-t\right)\thinspace g\left[f\left(x\right)\right]+t\thinspace g\left[f\left(x\right)\right]\]

et la convexité de g\circ f est établie.

4 – Une implication en cache parfois une autre !

Il peut arriver qu’en démontrant une implication A\Rightarrow B, on se rende compte que cette preuve « contient », en quelque sorte, la preuve de l’implication réciproque. Donnons deux exemples :

Exemple 1

Considérons une bijection f:\mathbb{R}\rightarrow\mathbb{R} et montrons que :

    \[\boxed{\left(f\mbox{ impaire}\right)\Rightarrow\left(f^{-1}\mbox{ impaire}\right)}\]

Bien entendu, f^{-1} désigne la bijection réciproque de f.

Quelle est la cible ? Il faut prouver que :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace f^{-1}\left(-x\right)=-f^{-1}\left(x\right)\]

Soit x\in\mathbb{R}. On a d’une part (par définition de f^{-1}) :

    \[f\left(f^{-1}\left(-x\right)\right)=-x\]

et, d’autre part (parce que f est impaire et par définition de f^{-1}) :

    \[f\left(-f^{-1}\left(x\right)\right)=-f\left(f^{-1}\left(x\right)\right)=-x\]

Donc :

    \[f\left(f^{-1}\left(-x\right)\right)=f\left(-f^{-1}\left(x\right)\right)\]

Comme f est injective, il s’ensuit que :

    \[f^{-1}\left(-x\right)=-f^{-1}\left(x\right)\]

comme souhaité.

Il faut noter qu’en montrant cette implication, on a aussi montré sa réciproque !

Il suffit en effet d’appliquer le résultat à f^{-1}.

Exemple 2

Soit f:\left]0,+\infty\right[\rightarrow\mathbb{R}; on pose pour tout x>0 :

    \[g\left(x\right)=x\,f\left(\frac{1}{x}\right)\]

Montrons que la convexité de f et celle de g sont équivalentes.

En fait, là encore, il suffira de montrer que :

    \[f\text{ convexe}\Rightarrow g\text{ convexe}\]

car cette implication « contient » sa réciproque.

En effet, si g est convexe alors l’application {\displaystyle x\mapsto x\thinspace g\left(\frac{1}{x}\right)} sera convexe, mais pour tout x>0 :

    \[x\thinspace g\left(\frac{1}{x}\right)=x\thinspace\frac{1}{x}\thinspace f\left(\frac{1}{\left(\frac{1}{x}\right)}\right)=f\left(x\right)\]

Considérons donc x,y>0 et t\in\left[0,1\right]. Comme \frac{1}{\left(1-t\right)x+ty} est compris entre \frac{1}{x} et \frac{1}{y}, il existe \mu\in\left[0,1\right] tel que :

    \[\frac{1}{\left(1-t\right)x+ty}=\frac{\mu}{x}+\frac{1-\mu}{y}\]

Ce nombre \mu est donné par :

    \[\mu=\frac{1}{\frac{1}{x}-\frac{1}{y}}\left(\frac{1}{\left(1-t\right)x+ty}-\frac{1}{y}\right)=\frac{\left(1-t\right)x}{\left(1-t\right)x+ty}\]

Il en résulte que :

    \[1-\mu=\frac{ty}{\left(1-t\right)x+ty}\]

Comme f est convexe :

    \begin{eqnarray*}g\left(\left(1-t\right)x+ty\right) & = & \left(\left(1-t\right)x+ty\right)\,f\left(\frac{\mu}{x}+\frac{1-\mu}{y}\right)\\& \leqslant & \left(\left(1-t\right)x+ty\right)\,\left[\mu\,f\left(\frac{1}{x}\right)+\left(1-\mu\right)\,f\left(\frac{1}{y}\right)\right]\\& = & \left(1-t\right)x\,f\left(\frac{1}{x}\right)+ty\,f\left(\frac{1}{y}\right)\\& = & \left(1-t\right)\,g\left(x\right)+t\,g\left(y\right)\end{eqnarray*}

ce qui prouve bien que g est convexe.

5 – Un dernier exemple, plus élaboré

Soit E un ensemble et soit u:E\rightarrow E une application.
On dit que u est “ simplifiable à gauche ” lorsque :

    \[\forall\left(f,g\right)\in\left(E^{E}\right)^{2},\,u\circ f=u\circ g\Rightarrow f=g\]

On se propose de montrer que :

    \[\boxed{\left(u\textrm{ est simplifiable à gauche}\right)\Leftrightarrow\left(u\textrm{ est injective}\right)}\]

Occupons-nous, pour commencer, de l’implication \boxed{\Rightarrow} :

La cible est “ u est injective ”. Il faut donc mécaniquement commencer par “ soient a,b\in E tels que u\left(a\right)=u\left(b\right) » et aboutir un peu plus bas à “ … et donc a=b« .

Mais une fois qu’on a écrit les premiers mots, la suite de la preuve n’est pas évidente à trouver … D’ailleurs, si c’était toujours aussi évident qu’à la première section, ça voudrait dire que les maths, c’est facile (et vous savez qu’il n’en est rien).

Comment faire ? Il faut naturellement faire intervenir l’hypothèse et donc fabriquer deux applications f et g sur mesure. Voici comment :

Preuve (cliquer pour déplier / replier)


Soient a,b\in E tels que u\left(a\right)=u\left(b\right).

Raisonnons par l’absurde et supposons a\neq b.

On peut alors construire une application f:E\rightarrow E en posant :

    \begin{eqnarray*}f\left(a\right) & = & b\\f\left(b\right) & = & a\\\forall t\in E-\left\{ a,b\right\} ,\,f\left(t\right) & = & t\end{eqnarray*}

On constate que u\circ f=u=u\circ id_{E}, bien que f\neq id_{E}.

Ceci est en contradiction avec l’hypothèse et donc a=b.

Passons à l’implication réciproque \boxed{\Leftarrow}.

Cette fois, la cible est :

    \[\forall\left(f,g\right)\in\left(E^{E}\right)^{2},\,u\circ f=u\circ g\Rightarrow f=g.\]

La situation s’est compliquée car la cible est elle-même une implication !
Mais on sait maintenant par quoi il faut commencer …

Preuve (cliquer pour déplier / replier)

Soient f,g\in E^{E} telles que u\circ f=u\circ g.
Pour tout x\in E :

    \[u\left(f\left(x\right)\right)=u\left(g\left(x\right)\right)\]

et donc, comme u est injective, f\left(x\right)=g\left(x\right).

Ainsi f=g.


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