
On présente ici diverses méthodes permettant de définir une application linéaire. Elles sont assorties d’exemples détaillés.
Précisons que cet article est assez synthétique et s’adresse à des lecteurs ayant déjà une certaine pratique de l’algèbre linéaire.
Avant de commencer, rappelons ce qu’est une application linéaire et donnons des exemples.
1 – Qu’est-ce qu’une application linéaire ?
Définition
Etant donnés deux espaces vectoriels et
sur un même corps
une application
est dite linéaire lorsque l’image d’une combinaison linéaire de vecteurs de
est égale la combinaison linéaire de leurs images respectives, avec les mêmes coefficients.
En symboles, cette condition devient :
Exemple fondamental 1
Fixons un entier Il est clair que, pour tout
l’application
Terminologie
Lorsque l’espace d’arrivée d’une application linéaire est on parle de forme linéaire.
Réciproquement, toute forme linéaire sur est de ce type ! En effet :
Notons la base canonique de
Pour chaque
désigne donc le
uplet de scalaires dont les composantes sont toutes nulles, à l’exception de la
ème, qui vaut 1 :
Soit une forme linéaire. Pour tout
:


Exemple fondamental 2
Soient deux entiers naturels non nuls et
une application linéaire.
On peut définir des applications avec
en décrétant que, pour tout
désigne la
ème coordonnée du vecteur
dans la base canonique de
Plus simplement dit :


Chacune d’elles est d’évidence une forme linéaire. D’après l’exemple fondamental 1, il existe des scalaires
et
tels que :
Réciproquement, toute application de


Au passage, notons qu’on est à deux doigts du formalisme matriciel ! La matrice de relativement aux bases canoniques de
et
est en effet :
Exemple fondamental 3
Soient deux réels tels que
et soit
une application continue.
Notons le
espace vectoriel des applications continues de
dans
et posons :



Il existe des formes linéaires sur qui ne sont pas de ce type !
C’est le cas de .
Cette forme linéaire est appelée évaluation en .
Sauriez-vous prouver qu’il n’existe aucune application telle que
?
→ Réponse en annexe
2 – Sept applications linéaires explicitement définies
Pour définir une application linéaire, le plus simple consiste à spécifier (via une formule explicite) l’image de chaque vecteur de l’espace de départ.
Exemple 1
Exemple 2
Exemple 3
Notons l’espace des applications continues de
dans
L’application
Exemple 4
Soit un ensemble non vide quelconque et soit
Soit, par ailleurs, un espace vectoriel
On note l’espace vectoriel de toutes les applications de
vers
L’application :

Terminologie
Lorsque les espaces de départ et d’arrivée d’une application linéaire sont confondus, on parle d’endomorphisme.
Exemple 5
Notons l’espace des toutes les applications de
dans
et soit
L’application :
Exemple 6
Notons l’espace des suites réelles convergentes. L’application :

Exemple 7
Notons l’espace des « suites réelles de carré sommables », c’est-à-dire des suites réelles
pour lesquelles la série
converge. L’application :

Cette liste pourrait être poursuivie, mais elle suffit largement pour s’apercevoir de la diversité des possibilités. Passons maintenant aux choses sérieuses…
3 – Définition par l’image d’une base
Considérons deux espaces vectoriels
et supposons
de dimension finie.
Notons
Théorème (T)
Etant données une base de
et une famille
de
vecteurs de
il existe une application linéaire
et une seule vérifiant :
Autrement dit, une application linéaire est parfaitement définie par la donnée des images des vecteurs d’une base.
La preuve de ce théorème est détaillée en annexe, à la fin de l’article.
Voici un exemple d’utilisation.
Endomorphismes anti-involutifs en dimension paire
Considérons un espace vectoriel
de dimension finie
et supposons qu’il existe un endomorphisme
tel que
(c’est-à-dire :
Le déterminant d’une composée d’endomorphismes étant égal au produit des déterminants des facteurs, on voit que :
![Rendered by QuickLaTeX.com \left[\det\left(u\right)\right]^{2}](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-a9822a164fc796ca8738cb5c4922efcc_l3.png)

La réciproque de cette propriété est encore vraie :
Proposition
Si un
espace vectoriel de dimension paire, alors il existe un endomorphisme
tel que
Notons et donnons-nous une base
de
D’après le théorème (T), on définit un endomorphisme en imposant :
Pour tout de deux choses l’une :
➣ si est pair, alors :
➣ si

Les endomorphismes et
coïncident sur une base, ils sont donc égaux.
Remarque
Dans cet exemple, le corps de base était ce qui a permis de dire que
est positif ou nul.
Une telle affirmation n’aurait eu aucun sens si D’ailleurs, dans ce cas, l’existence d’endomorphismes « anti-involutifs » est assurée sans aucune contrainte de parité : il suffit de considérer l’homothétie de rapport
(avec bien sûr
4 – Définition par les restrictions à des sous-espaces supplémentaires
Considérons deux espaces vectoriels
ainsi que deux sous-espaces
de
tels que
(rappelons ce que cela signifie : tout vecteur de
peut s’écrire, de manière unique, comme la somme de deux vecteurs, l’un appartenant à
et l’autre à
Théorème (T’)
Etant données des applications linéaires et
il existe une application linéaire
et une seule telle que :
Autrement dit, une application linéaire est parfaitement déterminée par la donnée de ses restrictions (linéaires !) à deux sous-espaces supplémentaires.
Là encore, laissons de côté la démonstration (le lecteur intéressé la lira en annexe) et donnons deux exemples d’utilisation.
Un lemme de Noether
Considérons trois espaces vectoriels
et
ainsi que deux applications linéaires
et
Il est évident que s’il existe vérifiant
alors
En effet, pour tout vecteur :
Proposition
Avec les notations précédentes, si alors il existe une application linéaire
telle que
Si une telle application existe, elle devra vérifier
pour tout
On voit dans cette condition que
n’est appliquée qu’à des vecteurs appartenant à l’image de
Ceci suggère de considérer un supplémentaire
de
dans
et de construire une application linéaire
en spécifiant ses restrictions à
et à
Pour la restriction à le plus simple consiste à prendre l’application nulle.
Pour la restriction à il faut faire attention…
Si en posant
avec
, il faudra qu’on ait
.
En d’autres termes, il faut définir la restriction de à
en associant à tout
l’image par
de l’un quelconque de ses antécédents par
Le problème de cette formulation est que le résultat semble dépendre de l’antécédent choisi !
Fort heureusement, il n’en est rien; car si sont deux antécédents par
du même
alors
donc (par hypothèse)
et finalement
En résumé, il est licite de définir en décrétant que :

Dimension d’un espace d’endomorphismes
Considérons ici un -espace vectoriel
de dimension finie
et endomorphisme
L’ensemble est un
-espace vectoriel : c’est clairement un sous-espace de
Que peut-on dire de la dimension de ? Elle est évidemment majorée par
mais à quoi est-elle égale ?
Comme on va le voir, il est possible d’exprimer en fonction de
et
Pour cela, observons qu’étant donné un endomorphisme la condition
signifie que la restriction de
à
est nulle.

Moralement, se donner un élément de semble être équivalent à se donner une application linéaire de
vers
où
désigne un supplémentaire de
dans
Terminologie
Lorsqu’une application linéaire est bijective, on parle d’isomorphisme.
Deux -espaces vectoriels sont dits isomorphes lorsqu’il existe un isomorphisme de l’un vers l’autre. Dans ce cas, si l’un des deux espaces est de dimension finie, alors l’autre aussi et les dimensions sont égales.
Afin de valider l’idée précédente, prouvons que est isomorphe à
Ceci entraînera que c’est-à-dire (vu que
et d’après la formule du rang) :
L’application :





Il suffit pour conclure de prouver que est bijective.
➣ Injectivité
Si alors d’une part
pour tout
(définition du noyau d’une application linéaire) et d’autre part
pour tout
(par définition de
Comme il en résulte que
est l’endomorphisme nul.
➣ Surjectivité
Soit On peut définir, grâce au théorème (T’), un endormorphisme
en spécifiant ses restrictions à
et à
:



Annexe : quelques explications
1 – Question finale / Exemple fondamental 3
Il s’agissait de prouver ceci :
Proposition
Il n’existe aucune application continue telle que :
Supposons le contraire et choisissons pour l’application
Alors :
Ceci impose, dans un premier temps, pour tout
Puis, comme
est continue en
on voit que
Bref, est nécessairement l’application nulle.
Mais ceci est absurde, puisqu’il existe évidemment des applications continues sur qui ne s’annulent pas en
2 – Preuve du théorème (T)
Dans ce qui suit, on notera la
ème forme coordonnée (pour chaque
c’est-à-dire la forme linéaire qui, à chaque
associe sa
ème coordonnée dans la base
.
Raisonnons par analyse-synthèse. Si convient, alors pour tout
vu que :

Pour l’existence, il suffit de constater que l’application ainsi définie fait l’affaire. Elle est en effet linéaire (parce que les
le sont) et de plus, pour tout
:
3 – Preuve du théorème (T’)
On sait que, pour tout il existe un unique couple
tel que
Notons l’application
(c’est la première projection) et définissons
de manière analogue.
Les applications et
sont linéaires. Détaillons cela. Etant donné un couple
de vecteurs de
ainsi qu’un scalaire
on peut écrire :



Ces préliminaires étant posés, nous allons encore, comme dans la preuve du théorème [T], procéder par analyse-synthèse.
Analyse
Si convient, alors pour tout
:
Synthèse
Réciproquement, si est ainsi définie, alors elle est linéaire (car
et
le sont) et vérifie manifestement :

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