L’objet de cet article est de prouver un cas très particulier du théorème de Fubini, en utilisant un arsenal théorique aussi restreint que possible. Plus précisément, nous allons établir le :
Théorème
Soit une application continue. Alors :
Pour cela, nous aurons besoin de trois ingrédients principaux :
- Notion de continuité uniforme et théorème de Heine,
- Sommes de Riemann : définition et théorème de convergence dans le cas continu,
- Interversion limite / intégrale pour une suite uniformément convergente de fonctions continues sur un segment.
Afin de rendre le présent texte aussi « self-contained » que possible (désolé pour l’anglicisme, mais je n’ai pas trouvé mieux), j’ai rassemblé deux de ces trois ingrédients en fin d’article : il s’agit, d’une part, du théorème de convergence des sommes de Riemann (cf. section 4) et, d’autre part, du théorème d’interversion limite / intégrale (cf. section 5).
Quant à la continuité uniforme, elle fait l’objet d’un autre article, auquel on pourra se reporter si nécessaire.
1 – Observation préliminaire
Etant donnée continue, montrons la continuité de l’application :
Pour cela, fixons ainsi que Comme est continue sur le compact elle est uniformément continue (théorème de Heine).
Il existe donc tel que pour tout et tout :
Par conséquent, dès que :
et donc :
Ceci prouve la continuité de en pour tout
Pour des raisons identiques, l’application :
est continue, elle aussi.
Cette observation préliminaire montre que, dans le théorème , les deux membres de l’égalité sont bien définis : ce sont des intégrales de fonctions continues sur le segment Une théorie élémentaire de l’intégration (où l’on se borne à intégrer des fonctions continues sur un segment) est donc suffisante pour ce contexte.
2 – Preuve du théorème
Les applications et sont celles introduites à la section précédente.
En appliquant le théorème des sommes de Riemann (voir section 4) à l’application on obtient :
donc, par linéarité de l’intégrale :
Posons maintenant, pour tout :
et montrons que la suite converge uniformément sur vers
Etant donné il s’agit de montrer que :
D’après la relation de Chasles, on a pour tout :
Reprenons le réel donné par l’uniforme continuité de (voir calcul de la section 1) et notons la partie entière par excès de . Si alors pour tout et tout :
donc :
et donc, dès que :
Comme ceci est valable quel que soit on a prouvé
On peut maintenant appliquer à la suite le théorème d’interversion limite / intégrale pour une suite uniformément convergente de fonctions continues (voir section 5). On obtient :
et donc, en faisant le lien avec on démontre le théorème
3 – Application au calcul d’un intégrale
Vous avez certainement rencontré des exercices où l’on demande de calculer une somme double et où la clé réside dans l’interversion des sommes.
Avec les intégrales, c’est la même idée … quoique (comme on l’a vu plus haut) l’interversion des intégrales soit significativement plus délicate à justifier !
Considérons, pour tout :
Alors, d’après le théorème :
Or (décomposition en éléments simples) :
donc :
où l’on a posé :
Par ailleurs (et de façon plus directe) :
Ainsi :
ce qui donne aussitôt la valeur de Finalement, on a prouvé que :
L’interversion des deux intégrales a permis de calculer
Challenge
Sauriez-vous calculer autrement ? (par un moyen plus simple et / ou plus direct).
Si oui, faites-moi signe via le formulaire de contact et je mettrais votre solution en ligne … si elle est correcte 😉
4 – Un mot sur les sommes de Riemann
La preuve présentée à la section 2 reposait notamment sur un théorème de convergence des sommes de Riemann, dont voici l’énoncé :
Théorème
Soit une application continue. Alors :
Attention de ne pas confondre sommes de Riemann et séries de Riemann.
Notons, pour tout :
et
Il s’agit de prouver que Avec la relation de Chasles, on voit que :
et donc :
puis, d’après l’inégalité triangulaire et celle du module :
Fixons D’après le théorème de Heine, il existe tel que :
Par conséquent, dès que on a pour tout :
et donc :
Le théorème de convergence des sommes de Riemann est démontré.
On pourra trouver, dans cette fiche d’exercices, divers exemples d’utilisation de ce résultat.
5 – Un mot sur l’interversion limite / intégrale
Il existe plusieurs théorèmes donnant des conditions suffisantes pour garantir une formule du genre :
où désigne un intervalle et une suite d’applications de dans
Celui qui nous intéresse ici est le suivant :
Théorème
Soit une suite d’applications continues de dans qui converge uniformément sur vers une application Alors :
Autrement dit : la limite de l’intégrale et l’intégrale de la limite sont égales.
Avant de démontrer quoique ce soit, il faut bien voir qu’une hypothèse de convergence simple serait insuffisante et ceci pour deux raisons :
- d’une part, la limite simple d’une suite d’applications continues n’est pas nécessairement continue, ce qui soulève une première difficulté (on s’est fixé une contrainte en début d’article, en se limitant à la théorie de l’intégration des fonctions continues sur un segment),
- d’autre part, même si est continue, l’égalité annoncée n’est pas vraie en général.
Concernant cette seconde objection, voici un …
Contre-exemple classique
On considère, pour tout :
Il est clair que est une suite d’applications continues sur
Cette suite converge simplement vers l’application nulle; en effet pour tout et si alors dès que de sorte que la suite est « mieux » que convergente : elle est stationnaire ! L’intégrale de la limite est donc nulle.
Mais la limite de l’intégrale ne l’est pas ! En effet, pour tout entier :
et donc bien sûr :
L’illustration dynamique ci-dessous montre le graphe de pour :
Graphe de : l’aire du triangle bleu est indépendante de n
Venons-en maintenant à la preuve du théorème
Déjà, est continue car limite uniforme d’une suite d’applications continues (ce qui donne un sens à l’intégrale de Il s’agit ensuite de prouver que :
Or, pour tout :
et cette borne supérieure admet 0 pour limite (par définition de la convergence uniforme).
Solutions des internautes pour le challenge
Solution proposée le 11/08/2019 par Simon Billouet
On cherche à calculer :
Effectuons le changement de variable (clairement licite) .
On a donc : soit .
De plus . Lorsque varie entre 0 et 1, varie entre 0 et . Ainsi :
Or, par le changement de variable :
De plus :
d’où
Finalement, on voit que l’intégrande vaut :
Enfin, par linéarité de l’intégrale, on trouve :
d’où le résultat :
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