Dans cet article, on examine les liens entre continuité, injectivité et monotonie, pour une application où sont deux parties de
Le principal résultat est le théorème suivant, démontré à la section 2:
Les notions d’injectivité, de monotonie et de continuité sont supposées connues, mais par précaution, les définitions associées sont rappelées en annexe.
Ne sachant pas si ce théorème est attribué à un(e) mathématicien(ne) en particulier, je propose d’adopter le sigle CISM pour « Continue et Injective implique Strictement Monotone »… Si vous avez connaissance d’une dénomination plus officielle, merci de l’indiquer en commentaire.
1 – Observations Préalables
La continuité n’implique évidemment ni l’injectivité, ni la monotonie ! Penser à
L’exemple de prouve que l’injectivité n’implique pas la monotonie. Et si l’on rajoute la continuité, ce n’est pas mieux … avec le même exemple ! (eh oui, le fonction inverse est continue sur Cependant, si l’ensemble de départ est un intervalle (ce qui n’est pas le cas de alors l’hypothèse injectivité + monotonie entraîne la stricte monotonie : voir section 2.
Ajoutons qu’une application définie sur un intervalle, qui est injective mais discontinue, n’a aucune raison d’être strictement monotone. Exemple :
Enfin, il est évident que la stricte monotonie implique l’injectivité. Evident … à condition de considérer qu’on a affaire à une application où sont des parties de ou, plus généralement, d’un ensemble totalement ordonné. Pour des ensembles partiellement ordonnés, ce n’est plus vrai en général. Par exemple, si l’on note l’ensemble de parties finies de alors l’application est strictement croissante mais non injective.
2 – Le theorème CISM
Ce théorème a été énoncé dans le préambule.
On en donne ici deux preuves (la seconde, plus concise, utilise un bagage théorique un peu plus épais; la première est celle que j’utilise dans mon cours de MPSI).
Preuve 1
Soient tels que Comme est injective, Supposons par exemple que et montrons que est strictement croissante. Pour cela, considérons tels que et introduisons l’application
Tout d’abord,
est bien définie car, pour tout
les réels
et
appartiennent à l’intervalle
ce qui permet de leur appliquer
L’intérêt de cette application est qu’elle permet de formaliser l’idée d’une « déformation continue » de la différence vers la différence le signe de cette différence restant inchangé tout au long de la déformation.
Ce n’est pas clair ? Détaillons …
Comme et si l’on prouve que est de signe constant, il en résultera que ce qui est exactement la conclusion visée.
Comme est continue (ce qui résulte de la continuité de sur l’intervalle si n’était pas de signe constant, elle s’annulerait (d’après le théorème des valeurs intermédiaires). Il existerait donc tel que d’où d’après l’injectivité de :
c’est-à-dire :
Mais une telle égalité est impossible puisque le membre de gauche est strictement négatif, tandis que celui de droite est strictement positif. On vient de montrer par l’absurde que
est de signe constant, comme annoncé.
Bien entendu, nous si nous avions supposé en début de preuve que alors le raisonnement précédent appliqué à prouverait que est strictement décroissante. Bref, est strictement monotone.
Preuve 2
Posons et considérons l’application
Comme
est continue, alors
est aussi continue. Par ailleurs,
est (convexe donc) connexe et donc
est une partie connexe de
autrement dit un intervalle. Mais comme
est injective,
ne s’annule pas et donc
est inclus dans
ou bien dans
Ceci prouve que
est strictement monotone (strictement croissante si
strictement décroissante si
Passons à des applications du théorème CISM.
3 – Une extension du théorème de Rolle
Le résultat suivant est bien connu :
Légèrement moins classique et faisant souvent l’objet d’un exercice :
Extension du théorème de Rolle à un intervalle non borné
On peut démontrer ceci en considérant l’application
et en remarquant que
est prolongeable en une application continue sur
qui vérifie les hypothèses du théorème de Rolle. Il existe donc
tel que
c’est-à-dire
Mais comme
ne s’annule pas, on obtient la conclusion en posant
Autre point de vue : on observe que ne peut pas être injective. En effet, si était injective, elle serait strictement monotone (d’après le théorème CISM) mais ceci est incompatible avec le fait que Par conséquent, il existe tels que et Il suffit alors d’appliquer le théorème de Rolle à la restriction de au segment
4 – Le théorème de Darboux
Etant donné un intervalle non trivial et une application est-ce que est un intervalle ?
En général, non. Par exemple, l’application
transforme l’intervalle
en
qui n’est pas un intervalle.
Pour que soit un intervalle, il suffit que soit continue : c’est essentiellement ce que dit le théorème des valeurs intermédiaires.
On doit au mathématicien français Gaston Darboux le joli résultat suivant, qui fournit une autre condition suffisante pour que soit un intervalle : il suffit que possède des primitives.
Comme on va le voir, le théorème de Darboux peut être établi grâce (notamment) au théorème CISM.
Gaston DARBOUX (1842 – 1917),
Mathématicien Français
Pour montrer que est un intervalle, on se donne tels que et l’on prouve que tout est encore un élément de
Pour cela, on introduit l’application
Il suffit de prouver que la dérivée de s’annule.
Par hypothèse, il existe tels que et
On observe que et Evidemment, il n’est pas question de dire que s’annule sous prétexte qu’elle change de signe : le théorème des valeurs intermédiaires ne s’applique pas à puisqu’on ne sait rien de sa continuité.
En revanche, on peut affirmer que n’est pas injective, car dans le cas contraire serait strictement monotone (d’après le théorème CISM) et donc sa dérivée serait de signe constant, ce qui n’est visiblement pas le cas.
Ainsi, il existe tels que et Le théorème de Rolle appliqué à la restriction de au segment montre qu’il existe tel que ce qui termine la preuve.
5 – Deux exercices posables à l’oral
Exercice 1
Soit continue et telle que :
Montrer que
est une bijection strictement monotone.
Il est clair qu’une telle application injective. En effet, si alors par hypothèse, c’est-à-dire Par ailleurs, étant continue, le théorème CISM s’applique : est strictement monotone. En outre, pour tout : Si est croissante, il s’ensuit que :
d’où
De même, si
est décroissante,
et
D’après le théorème des valeurs intermédiaires,
est surjective. Ainsi,
est une bijection strictement monotone.
Remarque
Une application vérifiant l’inégalité de l’énoncé est appelée une « expansion ». Un exemple d’expansion est la fonction « sinus hyperbolique ». On peut montrer que l’ensemble des points fixes de toute expansion continue est un intervalle fermé.
Exercice 2
Existe-t-il une injection continue de dans ?
Supposons l’existence d’une injection continue posons :
et notons
la restriction de
à
Comme
est continue, injective (car composée des injections
et
) et définie sur un intervalle, alors
est strictement monotone d’après le théorème CISM.
Si par exemple est strictement croissante, alors :
d’où, en passant à la limite lorsque
tend vers
(
est continue en ce point) :
et en particulier
ce qui est absurde (puisque
Même contradiction dans le cas où serait strictement décroissante.
Finalement, il n’existe aucune injection continue de dans
6 – Annexe : Rappels de définitions
Définition 3
Etant données deux parties de une application est dite continue lorsque, pour tout l’assertion suivante est vraie :
Cette condition signifie qu’il est possible de rendre l’écart entre
et
arbitrairement petit : il suffit de choisir
(dans
suffisamment proche de
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