Deux ensembles de Julia très simples

Etant donné c\in\mathbb{C}, on considère pour tout s\in\mathbb{C} la suite \left(z_{n}\right)_{n\geqslant0} définie par :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{z_{0}=s\qquad\text{et}\qquad\forall n\in\mathbb{N},\thinspace z_{n+1}=z_{n}^{2}+c}$}\]

L’ensemble de Julia rempli est, par définition:

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{K_{c}=\left\{ s\in\mathbb{C};\thinspace z_{n}\not\longrightarrow\infty\right\}}$}\]

qui est une partie compacte et non vide de \mathbb{C}.

Un théorème de Fatou et Julia (1919) indique que K_{c} est connexe ou totalement discontinu, selon la valeur de c (voir illustrations en fin d’article).

L’ensemble des c\in\mathbb{C} pour lesquels K_{c} est connexe est l’ensemble de Mandelbrot, noté M :

L’objet de cette note est de décrire K_{c} dans deux cas particuliers très simples (les seuls) :

  • pour c=0
  • pour c=-2.

Le cas c = 0

Proposition

K_{0} est le disque unité fermé.

Lorsque c=0, la suite \left(z_{n}\right) est définie par :

    \[\forall n\in\mathbb{N},\thinspace z_{n}=s^{2^{n}}\]

Attention : il s’agit de s^{\left(2^{n}\right)} et pas de \left(s^{2}\right)^{n}

A chaque étape de l’itération, le module est élevé au carré et l’argument est doublé.

➡ Si \left|s\right|\leqslant1, alors \forall n\in\mathbb{N},\thinspace\left|z_{n}\right|\leqslant1, ce qui prouve que s\in K_{0}. Donc : \overline{D\left(0,1\right)}\subset K_{0}.

➡ Si \left|s\right|>1, alors la suite \left(z_{n}\right) diverge en module vers +\infty, puisqu’elle est extraite de la suite géométrique \left(s^{n}\right) (qui possède ce comportement). Donc : K_{0}\subset\overline{D\left(0,1\right)}.

On peut visualiser ces comportements …

Pour \left|s\right|<1, on voit les premiers termes de la suite \left(z_{n}\right) spiraler vers l’origine :

Pour \left|z\right|>1, la spirale se déroule à l’extérieur du disque unité :

Bref :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{K_{0}=\overline{D}\left(0,1\right)}$}\]

Remarque

Il est frappant de constater que lorsque la suite \left(z_{n}\right) diverge, elle diverge pour de bon ! Supposons par exemple que \left|s\right|=1.1 et calculons les modules des premiers termes :

    \[\left|z_{1}\right|=1.21\]

    \[\left|z_{2}\right|\simeq1.46\]

    \[\left|z_{3}\right|\simeq2.14\]

    \[\left|z_{4}\right|\simeq4.59\]

    \[\left|z_{5}\right|\simeq21.11\]

Un peu plus loin :

    \[\boxed{\left|z_{10}\right|=2.4\times10^{42}}\]

Si l’unité de longueur est le centimètre, alors le cinquième terme se trouve à une bonne vingtaine de centimètres de l’origine … et le dixième est situé à plus de vingt milliards de milliards de milliards de milliards de kilomètres … Une distance très supérieure au diamètre de l’univers connu !!

Par Fernando Pena — https://www.flickr.com/photos/drcaosastrophoto/49804340298/, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=129107601

Le cas c = -2

Lemme (Transformée de Joukowski)

Notons \Delta=\left\{ z\in\mathbb{C};\thinspace0<\left|z\right|<1\right\} .

Alors l’application J:\Delta\rightarrow\mathbb{C}-\left[-2,2\right],\thinspace z\mapsto z+\dfrac{1}{z} est une bijection, qui « conjugue » les applications \Delta\rightarrow\Delta,\thinspace z\mapsto z^{2} et \mathbb{C}-\left[-2,2\right]\rightarrow\mathbb{C}-\left[-2,2\right],\thinspace z\mapsto z^{2}-2.

Notons \varphi:\mathbb{C}-\left\{ 0\right\} \rightarrow\mathbb{C},\thinspace z\mapsto z+\dfrac{1}{z}.

Pour tout z\in\mathbb{C}-\left\{ 0\right\} , si \varphi\left(z\right)\in\left[-2,2\right], alors il existe \theta\in\mathbb{R} tel que :

    \[z+\dfrac{1}{z}=2\cos\left(\theta\right)\]

c’est-à-dire z^{2}-2z\cos\left(\theta\right)+1=0, ou encore \left(z-e^{i\theta}\right)\left(z-e^{-i\theta}\right)=0 et donc z\in\mathbb{U}. En particulier z\notin\Delta. Par contraposée, si z\in\Delta alors \varphi\left(z\right)\in\mathbb{C}-\left[-2,2\right].

On peut donc bien définir une application

    \[\boxed{J:\Delta\rightarrow\mathbb{C}-\left[-2,2\right],\thinspace z\mapsto z+\dfrac{1}{z}}\]

Soient z,w\in\Delta tels que J\left(z\right)=J\left(w\right). Alors, après multiplication par zw et mise en facteur, il vient :

    \[\left(zw-1\right)\left(z-w\right)=0\]

Mais \left|zw\right|=\left|z\right|\thinspace\left|w\right|<1, donc zw\neq1 et donc z=w. Ceci prouve l’injectivité de J. Par ailleurs, étant donné w\in\mathbb{C}-\left[-2,2\right], on sait que w possède deux antécédents par \varphi : ce sont les solutions z_{1} et z_{2} de l’équation z^{2}-wz+1=0. On a donc z_{1}z_{2}=1 (produit des racines d’un trinôme) et, de plus \left|z_{1}\right|\neq1 et \left|z_{2}\right|\neq1 (car l’image par \varphi d’un élément de \mathbb{U} appartient à \left[-2,2\right]). Ainsi \left|z_{1}\right|<1 ou \left|z_{2}\right|<1 : l’un des antécédents de w par \varphi appartient à \Delta, ce qui prouve la surjectivité de J.

Ainsi :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{J\text{ est une bijection}}$}\]

Enfin, pour tout z\in\Delta :

    \[J\left(z\right)^{2}-2=\left(z+\dfrac{1}{z}\right)^{2}-2=z^{2}+\dfrac{1}{z^{2}}=J\left(z^{2}\right)\]

Donc, en notant

    \[F:\Delta\rightarrow\Delta,\thinspace z\mapsto z^{2}\]

et

    \[G:\mathbb{C}-\left[-2,2\right]\rightarrow\mathbb{C}-\left[-2,2\right],\thinspace z\mapsto z^{2}-2\]

il vient :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{F=J^{-1}\circ G\circ J}$}\]

Proposition

K_{-2} est le segment réel \left[-2,2\right].

Si s\in\left[-2,2\right], alors il existe \theta\in\left[0,\pi\right] tel que s=2\cos\left(\theta\right), d’où :

    \[z_{1}=s^{2}-2=4\cos^{2}\left(\theta\right)-2=2\left(2\cos^{2}\left(\theta\right)-1\right)=2\cos\left(2\theta\right)\]

puis, par récurrence :

    \[\forall n\in\mathbb{N},\thinspace z_{n}=2\cos\left(2^{n}\theta\right)\in\left[-2,2\right]\]

Ceci montre en particulier que la suite \left(z_{n}\right)_{n\geqslant0} est bornée et donc que \left[-2,2\right]\subset K_{-2}.

Par ailleurs, si s\in\mathbb{C}-\left[-2,2\right], le lemme précédent montre qu’il existe (un unique) u\in\Delta tel que s=u+\dfrac{1}{u}. Alors :

    \[z_{1}=s^{2}-2=\left(u+\dfrac{1}{u}\right)^{2}-2=u^{2}+\dfrac{1}{u^{2}}\]

et par récurrence :

    \[\forall n\in\mathbb{N},\thinspace z_{n}=u^{2^{n}}+\dfrac{1}{u^{2^{n}}}\]

Ainsi {\displaystyle \lim_{n\rightarrow+\infty}\left|z_{n}\right|=+\infty}, donc s\notin K_{-2}. Ceci montre que K_{-2}\subset\left[-2,2\right]. Finalement :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{K_{-2}=\left[-2,2\right]}}$}\]

A quoi ressemblent les autres ensembles de Julia ?

Lorsque c prend d’autres valeurs, l’ensemble K_{c} possède une structure infiniment plus riche et plus difficile à décrire … Lorsqu’on zoome sur sa frontière, on voit essentiellement le même paysage, peu importe l’échelle : pour cette raison, on parle d’ensemble « fractal ».

Ci-dessous, sont représentés quelques ensembles de Julia remplis, pour diverses valeurs du paramètre c. Les 7 premiers sont connexes. Les 2 suivants aussi, mais de mesure nulle. Les 3 derniers sont totalement discontinus. Pour ces 5 dernières illustrations, on ne « voit » pas véritablement K_{c} : on devine sa présence au fond d’une vallée …

Si cet article vous a intéressé, merci de laisser un petit commentaire 🙂

Partager cet article

Laisser un commentaire