1 – Une question de parité
Tout le monde sait ce qu’est un nombre pair : il s’agit tout simplement du double d’un nombre entier.
Par exemple, 1450 est pair puisque 1450 = 2
725.
Un nombre entier non pair est dit impair. On peut l’écrire sous la forme
, où
est entier. Détaillons cette dernière affirmation :
Si
est un entier impair, notons
le plus grand entier pair inférieur à ![]()
On constate que
Il en résulte que ![]()
Il est facile de voir que la somme de deux entiers pairs
et
est encore un entier pair. En effet, en notant
et
il vient
Et comme
est entier (c’est la somme de deux entiers), alors
est pair.
Enonçons une règle plus générale :
Parité de la somme de deux entiers
Etant donnés deux entiers
et
deux cas se présentent :
- Si
et
sont de même parité (tous deux pairs, ou bien tous
deux impairs), alors
est pair. - Si
et
sont de parités contraires, alors
est impair.
Le lecteur est invité à établir ce résultat, en exercice.
A présent, posons-nous la question suivante :
Question :
Etant donné un entier naturel
quelle est la parité de
?
Notons
et regardons ce qui se passe pour les petites valeurs de ![]()
De simples calculs révèlent que :
![]()
![]()
On conjecture aussitôt que
est impair, quel que soit
ce qui est facile à établir directement ! On peut en effet écrire, pour tout
:
![]()
Et d’autre part, l’entier
est évidemment impair.
Ainsi
est impair, puisque c’est la somme de deux entiers de parités contraires.
Notre conjecture est devenue un théorème. Un théorème bien modeste, certes, mais que nous reprendrons à la section 4, en guise d’exemple de preuve par récurrence.
2 – Fausses Impressions
L’examen des quelques premières valeurs de
pouvait-il suffire à nous convaincre de la validité de notre précédente conjecture ? La réponse est non, comme le prouvent les deux exemples suivants.
Exemple 1
Pour tout entier
notons
l’entier naturel dont l’écriture décimale comporte
chiffres ‘3’ suivis d’un ‘1’. Ainsi :
![]()
est-il toujours un nombre premier ?
On constate que
et
sont tous premiers. Les quelques premières valeurs de
nous mettent donc sur la piste d’un « oui » !
![]()
Et pour en savoir davantage sur les nombres premiers, on pourra consulter l’article Mysterieux nombres premiers.
Exemple 2
Etant donné un entier
plaçons
points distincts sur un cercle et relions chacun d’eux à tous les autres. Ceci fait apparaître plusieurs régions à l’intérieur du disque : on notera
leur nombre. La question naturelle est : existe-t-il une formule simple pour
?
Notons, avant d’aller plus loin qu’il n’est du tout clair, a priori, que le nombre de régions dépende seulement de
: cet entier pourrait très bien dépendre de la configuration choisie… mais passons.
Effectuons la construction décrite plus haut pour les valeurs de n comprises entre 2 et 5 :




On trouve donc :
![]()
Sauf que cette conjecture est fausse ! En effet,
(et non pas
:

Au fait …
3 – Preuve par récurrence : Comment ça marche ?
On s’intéresse à un énoncé qui fait intervenir un entier naturel
et dont la « valeur de vérité » dépend de
Autrement dit, cet énoncé peut être vrai pour certaines valeurs de
et faux pour d’autres.
Par exemple, il pourrait s’agir de :
: « la somme des
premiers nombres impairs est un carré parfait »,
: « le produit de
entiers consécutifs est multiple de
« ,
: «
un nombre premier ».
Il se trouve que
est vrai pour tout
(voir section 6 du présent article) et qu’il en va de même pour
(voir l’article Le produit de k entiers consécutifs est multiple de k!).
En revanche,
est vrai pour certaines valeurs de
(par exemple tous les entiers de 0 à 10, mais pas seulement : les entiers 13, 17, 18, 19 et 24 conviennent aussi) mais pas pour d’autres.
Et comme les mathématiques ne sont pas une science facile (ça se saurait…), ne perdons pas de vue qu’il existe des énoncés qui sont vrais pour toutes les valeurs particulières de
qu’on a pu tester, mais dont personne n’est à ce jour capable de démontrer la validité pour tout
Par exemple :
: Pour tout
le nombre pair
est la somme de deux nombres premiers.
Il s’agit de la célèbre conjecture de Goldbach. A ce sujet, le lecteur intéressé pourra consulter l’article Qu’est-ce qu’une conjecture ? mais revenons à nos moutons…
La question centrale est :
Question :
Etant donnés : • un énoncé
portant sur un entier naturel
, • un entier naturel
,
Comment peut-on prouver que
est vrai pour tout
?
Le raisonnement par récurrence apporte une réponse. Voici en quoi il consiste :
Réponse
➡ On prouve d’une part que
est vrai.
➡ On prouve d’autre part que, si
est vrai pour un certain
alors
est aussi vrai.
Le premier point constitue l’initialisation. Le second indique que l’énoncé est héréditaire (c’est-à-dire que sa validité se transmet de chaque entier
à son successeur).
Intuitivement, comme
est vrai alors
aussi d’après l’hérédité. Puis, comme
est vrai, alors
aussi toujours d’après l’hérédité. De même, puisque
est vrai, alors
aussi … et ainsi de suite …
En quelque sorte, l’initialisation constitue un « germe » et l’hérédité permet à ce germe de « s’auto développer » à l’infini.
Il est temps pour nous d’aborder quelques exemples fondamentaux de démonstrations par récurrence.
4 – Notre tout premier exemple
Revenons à la question examinée à la section 1. Il s’agissait de prouver que
est impair, quel que soit l’entier naturel ![]()
Pour
c’est vrai ! Ceci règle l’initialisation.
Et si
est impair pour un certain
alors :
![]()
Nous disposons donc de deux démonstrations d’un même résultat : directement (cf. section 1) et par récurrence. Passons à un autre exemple.
5 – Un grand classique !
Dans ce qui suit, la somme des entiers de 1 jusqu’à
sera notée
Autrement dit :
![]()
![Rendered by QuickLaTeX.com \[S_{n}=\sum_{k=1}^{n}k\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-90d413ea005547fe5b3af318bed45f92_l3.png)
Pour commencer, calculons
pour de petites valeurs de
:
![]()

Avec un peu d’attention, on observe que, par exemple :
![]()
Conjecture
Pour tout
la somme des
premiers entiers est ![]()
Nous allons maintenant démontrer ceci, par récurrence.
Pour l’initialisation, il s’agit de vérifier que
et c’est bien le cas.
Pour l’hérédité, on suppose que
pour un certain
et l’on prouve que, sous cette hypothèse : ![]()
Voici comment :

![]()
![]()
Signalons que ce résultat est parfaitement accessible sans récurrence. On raconte que le grand mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss découvrit, lorsqu’il était encore enfant, la preuve suivante. Le double de la somme demandée se ré-écrit en associant les termes
et
les termes
et
etc … ce qui fait apparaître
groupes de deux termes, chaque groupe formant un total de
En symboles :

![]()
6 – La somme des n premiers nombres impairs
Le premier nombre impair (positif) est 1. Les trois suivants sont 3, 5 et 7. Quel est le
ème ?
Il n’est pas difficile de deviner la formule générale :
Conjecture 1
Pour tout
le
ème nombre impair est ![]()
A ce stade, deux situations sont envisageables : si cette affirmation vous paraît évidente, nous allons pouvoir passer directement à la suite ! Et sinon, il va falloir l’établir… par récurrence.
Preuve de la conjecture 1 (cliquer pour déplier / replier)
Notons donc
le
ème nombre impair. Il est clair que
ce qui règle la question de l’initialisation. Ensuite, en supposant que
pour un certain entier
on observe que :
![]()
Passons à la question qui nous occupe dans cette section : que vaut la somme des
premiers nombres impairs ?
En la notant
on calcule aisément :
![]()

De toute évidence, ce sont les dix premiers carrés parfaits qui apparaissent ici. On est donc naturellement que conduit à la :
Conjecture 2
Pour tout
la somme des
premiers nombres impairs est ![]()
Après avoir conjecturé, il faut démontrer. Et vous commencez à connaître la chanson : on va procéder par récurrence.
Preuve de la conjecture 2 (cliquer pour déplier / replier)
Pour l’initialisation, on se borne à observer que :
![]()
Pour l’hérédité, on suppose que
pour un certain
on calcule alors :
![]()
Nos connaissances de collège sur les identités remarquables nous permettent de reconnaître que cette dernière quantité n’est autre que ![]()
C’est exactement ce qu’on voulait obtenir.
Notons que, comme pour le résultat établi à la section 5, une preuve directe est envisageable. Il suffit (en utilisant la notation
introduite à la section précédente) d’observer que :

C’est la troisième fois qu’on démontre un résultat par récurrence… pour se rendre compte ensuite qu’on pouvait l’établir directement. Le principal avantage d’une preuve directe est qu’on n’a pas besoin de conjecturer le résultat à démontrer ! Ce résultat apparaît « naturellement », au terme d’un calcul.
Mais le raisonnement par récurrence n’en est pas pour autant inutile ! Dans beaucoup de situations, on ne sait pas vraiment faire autrement. Les deux sections suivantes proposent des exemples de telles situations.
7 – Une identité remarquable
Proposition
Pour tout entier
et tout nombre réel
on a la formule de factorisation :
![]()
Preuve de la proposition (cliquer pour déplier / replier)
Démontrons ceci par récurrence (le réel
étant fixé). Pour
c’est une égalité bien connue depuis le collège :
![]()
Supposons l’égalité
vraie pour un certain
alors :

La formule
est fondamentale. Pour
elle prend la forme :
![]()
![]()
![Rendered by QuickLaTeX.com \[\boxed{u_{0}+u_{1}+\cdots+u_{n-1}=u_{0}\frac{1-x^{n}}{1-x}}\]](https://math-os.com/wp-content/ql-cache/quicklatex.com-71e385a9a643acf1ac52d250a71bd0a1_l3.png)
![]()
Passons à un exemple à la fois plus anecdotique et plus élaboré.
8 – Une suite ultimement croissante
Fixons un réel
et considérons la suite
définie par :
![]()
![]()
![]()
Nous allons prouver que, peu importe la valeur choisie pour
la suite
est « strictement croissante à partir d’un certain rang », c’est-à-dire :
Proposition A
Il existe
tel que
pour tout ![]()
Pour cela, commençons par établir un résultat plus faible, à savoir :
Proposition B
Il existe un entier
tel que ![]()
Dans le cas contraire, à savoir que
pour tout
la suite serait décroissante donc majorée (par
ce qui est absurde puisque
pour tout
(et ceci impose bien sûr que ![]()
Le résultat
est acquis. Montrons maintenant
en procédant par récurrence.
On sait déjà que
ce qui donne l’initialisation.
Supposons que, pour un certain
on ait :
Alors :
![]()
9 – Une remarque « philosophique » pour conclure
Pour s’assurer de la validité d’un énoncé
quelle que soit la valeur de l’entier naturel
la première idée qui peut venir à l’esprit est de tester successivement les cas
etc…
Deux problèmes majeurs surviennent :
- L’examen d’un nombre fini de cas ne peut pas suffire (voir la deuxième section du présent article)
- L’examen de tous les cas, un à un, est impossible… puisqu’il en existe une infinité !
La puissance du raisonnement par récurrence apparaît en pleine lumière : on traite une infinité de cas en utilisant seulement un nombre fini de mots !
A méditer …
Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire jusqu’au bout 🙂
Vos questions ou remarques seront toujours les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.


Ah oui ! Merci pour cette précision 😊
Bonjour,
Merci pour cet article.
C’est une micro remarque, mais avant la partie 7 vous annoncez des résultats difficilement démontrables par voie directe, mais l’exemple de la partie 7 peut se faire en faisant apparaître une somme télescopique dans le membre de droite ?
Bien à vous.
Vous avez en partie raison. On peut en effet écrire ceci, pour tout réel (ou complexe)
et tout entier
:
Cela dit, si l’on gratte un peu, comment se démontre la formule des sommes télescopiques ? Par récurrence …