Deux théorèmes sur les polynômes

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On se propose d’établir, par des moyens élémentaires, deux résultats sur les polynômes, qui sont à la fois fondamentaux et d’un usage permanent en calcul algébrique.

Cet article s’adresse principalement à des élèves de terminale qui se destinent à des études supérieures scientifiques. La connaissance du principe de récurrence ainsi qu’un minimum d’habitude de la notation \Sigma sont requis.

Commençons par rappeler une …

Définition

On dit de f:\mathbb{R}\rightarrow\mathbb{R} que c’est une fonction polynôme lorsqu’il existe un entier naturel n et des réels a_{0},\cdots,a_{n} tels que :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace f\left(x\right)=\sum_{k=0}^{n}a_{k}x^{k}\]

Voici maintenant les deux théorèmes que nous avons en ligne de mire…

Théorème A

Soit P une fonction polynôme et soit \alpha\in\mathbb{R} tel que P\left(\alpha\right)=0. Il existe alors une fonction polynôme Q telle que :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace P\left(x\right)=\left(x-\alpha\right)Q\left(x\right)\]

Théorème B

Soit n un entier naturel et soient des réels a_{0},\cdots,a_{n} et b_{0},\cdots,b_{n} tels que :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{n}a_{k}x^{k}=\sum_{k=0}^{n}b_{k}x^{k}\]

Alors :

    \[\forall k\in\llbracket0,n\rrbracket,\thinspace a_{k}=b_{k}\]

En pratique, lorsqu’on passe de

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{n}a_{k}x^{k}=\sum_{k=0}^{n}b_{k}x^{k}\]

à

    \[\forall k\in\llbracket0,n\rrbracket,\thinspace a_{k}=b_{k}\]

on dit qu’on procède par “ identification des coefficients ”.

Le théorème B pourrait donc s’appeler le “ théorème d’identification polynomiale ”. Mais c’est une appellation non officielle : à un niveau plus avancé, on dira plutôt que le théorème B exprime, pour tout n\in\mathbb{N}, l’indépendance linéaire de la famille de monômes \left(x\mapsto x^{k}\right)_{0\leqslant k\leqslant n}.

Si vous êtes pressé(e) de voir comment s’utilisent concrètement ces deux théorèmes, vous pouvez directement passer à la section 5 … Mais l’objet principal de cet article se concentre aux sections 1 à 3, où les théorèmes en question sont établis.

1 – Une identité remarquable

Nous allons prouver qu’étant donnés un entier n\geqslant2 et deux réels a,b quelconques :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\displaystyle{a^{n}-b^{n}=\left(a-b\right)\sum_{k=1}^{n}a^{n-k}b^{k-1}}$}\]

Procédons par récurrence et considérons l’assertion

    \[\left(\mathcal{A}_{n}\right)\::\qquad\forall\left(a,b\right)\in\mathbb{R}^{2},\:a^{n}-b^{n}=\left(a-b\right)\sum_{k=1}^{n}a^{n-k}b^{k-1}\]

\left(\mathcal{A}_{2}\right) est bien connue dès la fin du collège ! Il s’agit de l’identité remarquable :

    \[\boxed{\forall\left(a,b\right)\in\mathbb{R}^{2},\:a^{2}-b^{2}=\left(a-b\right)\left(a+b\right)}\]

Ceci initialise notre récurrence. Passons à l’hérédité, en supposant \left(\mathcal{A}_{n}\right) vraie pour un certain n\geqslant2 (c’est l’hypothèse de récurrence). Soient alors a,b deux réels quelconques.

idée-géniale

 On observe que :

    \[ a^{n+1}-b^{n+1}=b^{n}\left(a-b\right)+a\left(a^{n}-b^{n}\right) \]

d’où, d’après l’hypothèse de récurrence :

    \[a^{n+1}-b^{n+1}=b^{n}\left(a-b\right)+a\left(a-b\right)\sum_{k=1}^{n}a^{n-k}b^{k-1}\]

On peut maintenant factoriser par \left(a-b\right) :

    \[\begin{matrix}a^{n+1}-b^{n+1} & = & {\displaystyle \left(a-b\right)\left[b^{n}+a\sum_{k=1}^{n}a^{n-k}b^{k-1}\right]}\\&&\\& = & {\displaystyle \left(a-b\right)\left[b^{n}+\sum_{k=1}^{n}a^{n+1-k}b^{k-1}\right]}\\&&\\& = & {\displaystyle \left(a-b\right)\sum_{k=1}^{n+1}a^{n+1-k}b^{k-1}}\end{matrix}\]

comme souhaité.

Pour vous rafraîchir la mémoire au sujet des identités remarquables exigibles au lycée et de leurs principales applications, vous pouvez consulter la vidéo Identités Remarquables.

2 – Preuve du théorème A

Soit P une fonction polynôme. Par définition, il existe n\in\mathbb{N} et des réels a_{0},\cdots,a_{n} tels que :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace P\left(x\right)=\sum_{k=0}^{n}a_{k}x^{k}\]

Soit \alpha un réel vérifiant P\left(\alpha\right)=0 (on dit que \alpha est une racine réelle de P).

Si n=0, alors P est une fonction constante, qui est fatalement la fonction nulle, ce qui rend triviale la propriété à démontrer (il suffit de prendre pour Q la fonction nulle !).

Supposons désormais n\geqslant1. On peut écrire, pour tout x\in\mathbb{R} :

    \[P\left(x\right)=P\left(x\right)-P\left(\alpha\right)=\sum_{k=0}^{n}a_{k}\left(x^{k}-\alpha^{k}\right)=\sum_{k=1}^{n}a_{k}\left(x^{k}-\alpha^{k}\right)\]

En appliquant l’identité remarquable établie à la première section, on voit que :

    \[P\left(x\right)=\sum_{k=1}^{n}a_{k}\left(x-\alpha\right)Q_{k}\left(x\right)\]

où l’on a posé, pour tout k\in\llbracket1,n\rrbracket :

    \[Q_{k}\left(x\right)=\sum_{j=1}^{k}x^{k-j}\alpha^{j-1}\]

En définitive, on a bien montré que, pour tout x\in\mathbb{R} :

    \[P\left(x\right)=\left(x-\alpha\right)Q\left(x\right)\]

à condition de poser :

    \[Q\left(x\right)=\sum_{k=1}^{n}a_{k}\left(\sum_{j=1}^{k}x^{k-j}\alpha^{j-1}\right)\]

De toute évidence, la fonction Q ainsi définie est polynomiale, ce qui achève la preuve.

3 – Preuve du théorème B

Il s’agit de prouver que l’assertion :

    \[\left(\mathcal{P}_{n}\right)\::\qquad\begin{matrix}\forall\left(a_{0},\cdots,a_{n}\right)\in\mathbb{R}^{n+1},\thinspace\forall\left(b_{0},\cdots,b_{n}\right)\in\mathbb{R}^{n+1},\\\left({\displaystyle \forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{n}a_{k}x^{k}=\sum_{k=0}^{n}b_{k}x^{k}}\right)\Rightarrow\left(\forall k\in\llbracket0,n\rrbracket,\thinspace a_{k}=b_{k}\right)\end{matrix}\]

est vraie pour tout n\in\mathbb{N}.

Par différence, il revient au même de prouver que l’assertion :

    \[\boxed{\left(\mathcal{Q}_{n}\right)\::\qquad\begin{matrix}\forall\left(c_{0},\cdots,c_{n}\right)\in\mathbb{R}^{n+1},\\\left({\displaystyle \forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{n}c_{k}x^{k}=0}\right)\Rightarrow\left(\forall k\in\llbracket0,n\rrbracket,\thinspace c_{k}=0\right)\end{matrix}}\]

est vraie pour tout n\in\mathbb{N}, ce que nous allons faire par récurrence.

\left(\mathcal{Q}_{0}\right) est vraie d’évidence (si c_{0} est nul, alors c_{0} est nul… rien de très exaltant !).

Supposons \left(\mathcal{Q}_{n}\right) vraie pour un certain n\in\mathbb{N} et soient alors c_{0},\cdots,c_{n+1} des réels tels que :

(\star)   \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{n+1}c_{k}x^{k}=0\]

En choisissant x=0, il vient c_{0}=0.

Par ailleurs, en dérivant chaque membre de \left(\star\right), on obtient :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=1}^{n+1}kc_{k}x^{k-1}=0\]

c’est-à-dire, après ré-indexation :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{n}\left(k+1\right)c_{k+1}x^{k}=0\]

Il s’ensuit, d’après \left(\mathcal{Q}_{n}\right), que c_{1}=\cdots=c_{n+1}=0.

Bref, les coefficients c_{0},\cdots,c_{n+1} sont tous nuls. CQFD.

4 – Degré d’un polynôme non nul

Soit P une fonction polynôme, qui n’est pas la fonction nulle.
Il existe n\in\mathbb{N} et des réels a_{0},\cdots,a_{n} tels que :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace P\left(x\right)=\sum_{k=0}^{n}a_{k}x^{k}\]

et de plus, l’un au moins de coefficients a_{k} est non nul.

On peut donc supposer, sans perte de généralité, que a_{n}\neq0. Avec cette petite contrainte, l’entier n est déterminé de manière unique.

En effet, s’il existait deux entiers m,n et des coefficients a_{0},\cdots,a_{m} ainsi que b_{0},\cdots,b_{n} tels que :

    \[m\neq n,\qquad a_{m}\neq0,\qquad b_{n}\neq0\qquad\text{et}\qquad\forall x\in\mathbb{R},\thinspace\sum_{k=0}^{m}a_{k}x^{k}=\sum_{k=0}^{n}b_{k}x^{k}\]

on serait aussitôt en contradiction avec le théorème B.

Cet entier, qui est donc bien déterminé, s’appelle le degré de P et il est noté \deg\left(P\right).

Définition

\deg\left(P\right) est le plus grand exposant présent dans l’expression développée de P

→ Par exemple, si l’on pose :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace f\left(x\right)=x^{2}+4x^{4}-x^{3}+1\]

alors \deg\left(f\right)=4.

Il n’est pas difficile de montrer que si deux fonctions polynômes (non nulles) ont pour degrés respectifs p et q, alors leur produit a pour degré p+q.

→ Par exemple, si l’on pose :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace g\left(x\right)=\left(x^{2}+1\right)^{2}\left(x-2\right)\]

alors \deg\left(g\right)=5.

5 – Utilisation combinée des deux théorèmes

Considérons le polynôme P défini par :

    \[P\left(x\right)=x^{3}-5x^{2}+2x+8\]

et cherchons à le factoriser.

Pour cela, commençons par chercher une racine “ évidente ”…

Après quelques tâtonnements (cf. remarque 1 en fin de section), on découvre que :

    \[P\left(2\right)=2^{3}-5\times2^{2}+2\times2+8=8-20+4+8=0\]

Le théorème A nous permet d’affirmer qu’il existe un polynôme Q tel que :

(\star)   \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace P\left(x\right)=\left(x-2\right)Q\left(x\right)\]

Comme \deg\left(P\right)=3, alors (cf. section 4) \deg\left(Q\right)=2.

Il existe donc des réels a,b,c (avec a\neq0) tels que Q\left(x\right)=ax^{2}+bx+c, pour tout x\in\mathbb{R}.

La relation (\star) précédente devient :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\forall x\in\mathbb{R},\thinspace x^{3}-5x^{2}+2x+8=\left(x-2\right)\left(ax^{2}+bx+c\right)$}\]

c’est-à-dire, en développant le second membre :

    \[\forall x\in\mathbb{R},\thinspace x^{3}-5x^{2}+2x+8=ax^{3}+\left(b-2a\right)x^{2}+\left(c-2b\right)x-2c\]

C’est là qu’intervient le théorème B. En identifiant les coefficients, on parvient au système :

    \[\left\{ \begin{matrix}a & = & 1\\b-2a & = & -5\\c-2b & = & 2\\-2c & = & 8\end{matrix}\right.\]

d’où l’on tire facilement :

    \[a=1\qquad b=-3\qquad c=-4\]

On est ainsi parvenu à la formule :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\forall x\in\mathbb{R},\thinspace x^{3}-5x^{2}+2x+8=\left(x-2\right)\left(x^{2}-3x-4\right)$}\]

Tant qu’à faire, allons jusqu’au bout du processus de factorisation !

Le trinôme x^{2}-3x-4 ayant pour discriminant \Delta=\left(-3\right)^{2}-4\times1\times\left(-4\right)=25, ses racines sont :

    \[x_{1}=\frac{3+5}{2}=4\qquad\text{et}\qquad x_{2}=\frac{3-5}{2}=-1\]

On peut finalement conclure que :

    \[\fcolorbox{black}{myBlue}{$\forall x\in\mathbb{R},\:x^{3}-5x^{2}+2x+8=\left(x-2\right)\left(x-4\right)\left(x+1\right)$}\]

Remarque 1

On peut éviter les tâtonnements en utilisant le “ test des racines rationnelles ”, qui est présenté dans l’article Comment factoriser un polynôme ?

Remarque 2

On pouvait accélérer un peu le calcul ci-dessus en donnant d’emblée les valeurs des coefficients a et c. D’une manière un peu plus générale, lorsqu’on détecte une racine \alpha pour le polynôme P, deux coefficients de Q sont accessibles sans calcul : le coefficient de plus haut degré et le coefficient constant.

Remarque 3

La technique d’identification présentée ici demeure assez rudimentaire. Il est, en pratique, plus efficace de poser la division euclidienne de P\left(x\right) par x-\alpha, ou d’appliquer un schéma de Horner, mais ceci fera l’objet d’un autre article 🙂


Vos questions ou remarques sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou bien passer par le formulaire de contact.

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Cet article a 5 commentaires

  1. Oncle_Junior

    Il me semblait que Q1 avec cette formule donnait une somme allant de 1 à 1… ! Ah ben oui au temps pour moi 😊
    Je m’étais mis en tête que cela donnait la somme sur l’ensemble vide donc 0, mais la somme se réduit à un terme. Je ne dois pas pratiquer assez et surtout j’ai omis de prendre feuille et stylo !

    Merci à vous, bonne soirée 🙂

  2. Oncle_Junior

    Bonjour Monsieur,
    Merci pour cet article 🙂
    Il me semble qu’il faut poser Q1=1 et définir les Qk à partir de k=2 dans la section 2.
    Bien à vous.

    1. René Adad

      La formule proposée pour Q_k, à savoir

          \[Q_k=\sum_{j=1}^{k}x^{k-j}\alpha^{j-1}\]

      donne en particulier Q_1=1, donc tout va bien 🙂

  3. Oncle_Junior

    Bonjour Monsieur,
    Merci pour ces rappels 🙂

    Pour les polynômes Qk de la section 2, il me semble qu’ils peuvent rester inchangés pour k entre 2 et n. En revanche, l’identité de la section précédente étant valide et démontrée à partir du rang 2, il me semble qu’il faudrait poser Q1(x)=x-a.

    Bien à vous

    1. René Adad

      Je pense qu’il n’y a en fait aucun problème puisque, certes, la formule de factorisation établie à la section 1 l’a été à partir de n=2, mais elle est néanmoins bien valide (et triviale !) pour n=1.

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