Lettre T

TELESCOPIQUE

Etant donnée une liste \left(x_{k}\right)_{0\leqslant k\leqslant n} de nombres réels, la somme :

    \[S=\sum_{k=1}^{n}\left(x_{k}-x_{k-1}\right)\]

se simplifie pour donner :

    \[S=x_{n}-x_{0}\]

Cette sommation est qualifiée de télescopique, car tout se passe comme si l’on repliait une longue vue d’autrefois … après coup, seuls l’oculaire et l’objectif sont encore visibles :

lunette-telescopique

La raison de cette simplification est que les termes se simplifient de proche en proche, à l’exception des termes extrêmes, qui ne trouvent pas de contrepartie (illustration pour n=4) :

Pour une preuve rigoureuse, une petite récurrence fait l’affaire.

Cette technique est largement utilisée pour calculer explicitement
certaines sommes ou sommes de séries. Elle est aussi évoquée dans cet article, où vous pourrez trouver d’autres exemples que ceux développés ci-après.

Exemple 1

Si l’on pose {\displaystyle S_{n}=\sum_{k=1}^{n}k^{2}} pour tout n\in\mathbb{N}^{\star}, alors la somme :

    \[T_{n}=\sum_{k=1}^{n}\left[\left(k+1\right)^{3}-k^{3}\right]\]

peut se calculer de deux manières …

➢ D’une part :

    \[T_{n}=\left(n+1\right)^{3}-1\]

➢ D’autre part :

    \begin{eqnarray*}T_{n} & = & \sum_{k=1}^{n}\left(3k^{2}+3k+1\right)\\ & = & 3\thinspace S_{n}+\frac{3n\left(n+1\right)}{2}+n\end{eqnarray*}

En confrontant les deux expressions obtenues ci dessus, on voit que :

    \[S_{n}=\frac{1}{3}\left[\left(n+1\right)^{3}-1-\frac{3n\left(n+1\right)}{2}-n\right]\]

soit, après factorisation :

    \[\boxed{S_{n}=\frac{n\left(n+1\right)\left(2n+1\right)}{6}}\]

Exemple 2

Calculons la somme de la série convergente :

    \[\sum_{n\geqslant2}\,\frac{F_{n}}{F_{n-1}\,F_{n+1}}\]

ou \left(F_{k}\right)_{k\geqslant0} désigne la suite de Fibonacci.

Pour tout k\geqslant2 :

    \[\frac{F_{k}}{F_{k-1}\,F_{k+1}}=\frac{F_{k+1}-F_{k-1}}{F_{k-1}\thinspace F_{k+1}}=\frac{1}{F_{k-1}}-\frac{1}{F_{k+1}}\]

et donc :

    \begin{eqnarray*}\sum_{k=2}^{n}\frac{F_{k}}{F_{k-1}\,F_{k+1}} & = & \sum_{k=2}^{n}\left(\frac{1}{F_{k-1}}-\frac{1}{F_{k}}\right)+\sum_{k=2}^{n}\left(\frac{1}{F_{k}}-\frac{1}{F_{k+1}}\right)\\ & = & \frac{1}{F_{1}}-\frac{1}{F_{n}}+\frac{1}{F_{2}}-\frac{1}{F_{n+1}}\\ & = & 2-\frac{1}{F_{n}}-\frac{1}{F_{n+1}} \end{eqnarray*}

d’où, en passant à la limite :

    \[\boxed{\sum_{n=2}^{+\infty}\,\frac{F_{n}}{F_{n-1}\,F_{n+1}}=2}\]

Pour un autre exemple de calcul de somme de série faisant intervenir une sommation télescopique et les nombres de Fibonacci, voir l’exercice n° 5 de cette fiche.

Bien sûr, cette technique s’adapte aussi aux produits.

Si \left(y_{k}\right)_{0\leqslant k\leqslant n} est une liste de réels non nuls, alors :

    \[\prod_{k=1}^{n}\frac{y_{k}}{y_{k-1}}=\frac{y_{n}}{y_{0}}\]

Exemple 3

Calculons explicitement, pour tout entier n\geqslant2, le produit :

    \[P_{n}=\prod_{k=2}^{n}\left(1-\frac{1}{k^{2}}\right)\]

On observe que :

    \[P_{n}=\prod_{k=2}^{n}\frac{k^{2}-1}{k^{2}}=\prod_{k=2}^{n}\frac{\left(k-1\right)\left(k+1\right)}{k^{2}}=U_{n}V_{n}\]

où l’on a posé :

    \[U_{n}=\prod_{k=2}^{n}\frac{k-1}{k}\quad\text{et}\quad V_{n}=\prod_{k=2}^{n}\frac{k+1}{k}\]

Or ces deux derniers produits se télescopent :

    \[U_{n}=\frac{1}{n}\quad\text{et}\quad V_{n}=\frac{n+1}{2}\]

de sorte que finalement :

    \[\boxed{P_{n}=\frac{n+1}{2n}}\]

On peut d’ailleurs en déduire que :

    \[\prod_{k=2}^{\infty}\left(1-\frac{1}{k^{2}}\right)=\frac{1}{2}\]

TRANSITIVITÉ

La transitivité est une propriété que possèdent certaines relations binaires et que l’on pourrait bien caricaturer par le dicton populaire :

les amis de mes amis sont mes amis

Plus sérieusement, si \mathcal{R} est une relation binaire sur un ensemble E, on dit que \mathcal{R} est transitive lorsque :

    \[\forall\left(a,b,c\right)\in E^{3},\thinspace\left(a\mathcal{R}b\;\text{et}\;b\mathcal{R}c\right)\Rightarrow a\mathcal{R}c\]

Par exemple, les relations suivantes sont transitives :

  • la relation d’égalité dans un ensemble quelconque,
  • la relation d’inclusion dans l’ensemble des parties d’un ensemble,
  • la relation \leqslant usuelle dans \mathbb{R},
  • la relation de divisibilité dans \mathbb{N}^{\star},
  • l’ordre lexicographique (c’est-à-dire l’ordre usuel du dictionnaire) dans l’ensemble des mots sur un alphabet quelconque.

Voici maintenant un exemple de relation binaire non transitive : considérons l’ensemble des mots de la langue française. Etant donnés deux mots m et m', on notera m\:\mathcal{R}\:m' lorsque m et m' ont au moins une lettre en commun.

On voit bien que : bleu \mathcal{R} vert (le lettre ‘e’ est commune)
et vert \mathcal{R} roti (les lettres ‘r’ et ‘t’ sont communes)
mais bleu n’est pas en relation avec roti, car ces deux mots n’ont aucune lettre en commun.

Une question classique de combinatoire consiste à dénombrer les relations binaires sur un ensemble de cardinal n (il en existe 2^{n^{2}}) et à compter combien d’entre elles sont :

  • réflexives : il en existe 2^{n^{2}-n},
  • symétriques : il en existe 2^{n\left(n+1\right)/2},
  • réflexives, symétriques et transitives (relations d’équivalence) : il en existe B_{n},B_{n} est le n-ème nombre de Bell. La suite \left(B_{n}\right)_{n\in\mathbb{N}} vérifie la relation de récurrence forte :

        \[ B_{0}=1\qquad\text{et}\qquad\forall n\in\mathbb{N},\,B_{n+1}=\sum_{k=0}^{n}\,\binom{n}{k}B_{k}\]

A ce jour, aucune formule explicite n’est connue pour le nombre de relations transitives.

TRIANGULAIRE (inégalité)

Dans un triangle, la longueur de l’un quelconque des trois côtés est majorée par la somme des deux autres. Quitte à représenter chaque point du plan par son affixe (complexe), cette propriété s’énonce ainsi :

(\heartsuit)   \[\forall\left(a,b,c\right)\in\mathbb{C}^{3},\thinspace\left|a-c\right|\leqslant\left|a-b\right|+\left|b-c\right|\]

Formulation équivalente, un peu plus simple :

(\spadesuit)   \[\forall\left(z,w\right)\in\mathbb{C}^{2},\thinspace\left|z+w\right|\leqslant\left|z\right|+\left|w\right|\]

Détail de l’équivalence

En supposant \left(\heartsuit\right), on peut remplacer a par z, b par 0 et c par -w, ce qui donne \left(\spadesuit\right).

Réciproquement, en supposant \left(\spadesuit\right), on peut remplacer z par a-b et w par b-c, ce qui donne \left(\heartsuit\right).

La relation \left(\spadesuit\right) est appelée inégalité triangulaire dans \mathbb{C}. En voici deux corollaires importants :

    \[\forall\left(z,w\right)\in\mathbb{C}^{2},\thinspace\left|\left|z\right|-\left|w\right|\right|\leqslant\left|z-w\right|\]

    \[\forall n\in\mathbb{N}-\left\{ 0,1\right\} ,\thinspace\forall\left(z_{1},\cdots,z_{n}\right)\in\mathbb{C}^{n},\thinspace\left|\sum_{k=1}^{n}z_{k}\right|\leqslant\sum_{k=1}^{n}\left|z_{k}\right|\]

On pourra consulter cette vidéo pour une preuve de \left(\spadesuit\right) et des deux corollaires, et cette autre pour des exemples d’utilisation.

Plus généralement, si E est un \mathbb{R} ou \mathbb{C}-espace vectoriel et si N est une norme (ou même une semi-norme) sur E, alors N\left(x+y\right)\leqslant N\left(x\right)+N\left(y\right) pour tout couple \left(x,y\right) de vecteurs de E.

Par exemple, si p\in\left[1,+\infty\right[, alors :

    \[\left(\int_{0}^{1}\left|f\left(t\right)+g\left(t\right)\right|^{p}\thinspace dt\right)^{1/p}\leqslant\left(\int_{0}^{1}\left|f\left(t\right)\right|^{p}\thinspace dt\right)^{1/p}+\left(\int_{0}^{1}\left|g\left(t\right)\right|^{p}\thinspace dt\right)^{1/p}\]

et

    \[\sup_{t\in\left[0,1\right]}\left|f\left(t\right)+g\left(t\right)\right|\leqslant\sup_{t\in\left[0,1\right]}\left|f\left(t\right)\right|+\sup_{t\in\left[0,1\right]}\left|g\left(t\right)\right|\]

pour tout couple \left(f,g\right) d’applications continues de \left[0,1\right] dans \mathbb{R}.

TRIANGULAIRE (matrice)

Soit n un entier naturel non nul et soit \mathbb{K} un corps.

Définition

Une matrice carrée T\in\mathcal{M}_{n}\left(\mathbb{K}\right) est dite triangulaire supérieure lorsque ses termes sous-diagonaux sont tous nuls.

En posant T=\left[t_{i,j}\right]_{1\leqslant i,j\leqslant n}, cette condition prend la forme :

    \[\forall\left(i,j\right)\in\left\llbracket 1,n\right\rrbracket ^{2},\thinspace i>j\Rightarrow t_{i,j}=0\]

On note T_{n}^{+}\left(\mathbb{K}\right) l’ensemble de ces matrices.

On dit qu’une matrice est triangulaire inférieure lorsque sa transposée est triangulaire supérieure. L’ensemble de ces matrices est noté T_{n}^{-}\left(\mathbb{K}\right).

Exemple

La matrice :

    \[\left[\begin{array}{ccccc}0 & 1 & 0 & -1 & \frac{1}{2}\\0 & 1 & 4 & 6 & 0\\0 & 0 & 2 & 9 & 1\\0 & 0 & 0 & e & -\frac{1}{3}\\0 & 0 & 0 & 0 & \pi\end{array}\right]\]

est triangulaire supérieure. Elle appartient à T_{5}^{+}\left(\mathbb{R}\right).

L’ensemble T_{n}^{+}\left(\mathbb{K}\right) contient la matrice nulle et la matrice unité, est stable par combinaison linéaire et par produit. C’est donc une sous-algèbre de \mathcal{M}_{n}\left(\mathbb{K}\right). Sa dimension est :

    \[\dim\left(T_{n}^{+}\left(\mathbb{K}\right)\right)=\frac{n\left(n+1\right)}{2}\]

Même chose pour T_{n}^{-}\left(\mathbb{K}\right), via l’isomorphisme T_{n}^{+}\left(\mathbb{K}\right)\rightarrow T_{n}^{-}\left(\mathbb{K}\right),\thinspace A\mapsto\tp{A}.

Proposition 1

Une matrice triangulaire est inversible si, et seulement si, ses termes diagonaux sont tous non nuls.

Cette proposition se prouve directement.

Elle peut aussi être vue comme conséquence de la :

Proposition 2

Le déterminant d’une matrice triangulaire est égal au produit de ses termes diagonaux.

Plus généralement, le déterminant d’une matrice triangulaire par blocs est égal au produit des déterminants de ses blocs diagonaux.

Exemple

Après avoir calculé :

    \[\left|\begin{array}{cc} 2 & -1\\ 1 & 2 \end{array}\right|=5\qquad\text{et}\qquad\left|\begin{array}{ccc} 2 & 1 & 1\\ 1 & 2 & 3\\ 0 & -1 & -4 \end{array}\right|=-7\]

on peut affirmer que :

    \[\left|\begin{array}{ccccc} 2 & -1 & 0 & 0 & 0\\ 1 & 2 & 0 & 0 & 0\\ 0 & 0 & 2 & 1 & 1\\ 0 & 0 & 1 & 2 & 3\\ 0 & 0 & 0 & -1 & -4 \end{array}\right|=-35 \]

Proposition 3

Toute matrice triangulaire stricte (c’est-à-dire : dont les termes diagonaux sont tous nuls) est nilpotente.

Exemple

C’est en particulier le cas de la matrice suivante (cellule de Jordan de taille n\geqslant2) :

    \[J_{n}=\left[\begin{array}{ccccc}0 & 1 & 0 & \cdots & 0\\0 & 0 & 1 & \ddots & \vdots\\\vdots & \ddots & \ddots & \ddots & 0\\\vdots & & \ddots & \ddots & 1\\0 & \cdots & \cdots & 0 & 0\end{array}\right]\]

Les puissances successives de J_{n} s’obtiennent en « décalant » la diagonale de 1 vers le haut. L’indice de J_{n} est n (ce qui signifie que J_{n}^{n}=O et J_{n}^{n-1}\neq O).

Proposition 4

Toute matrice M\in\mathcal{M}_{n}\left(\mathbb{K}\right) dont le polynôme caractéristique est scindé dans \mathbb{K}\left[X\right] est semblable à une matrice triangulaire supérieure, c’est-à-dire qu’il existe P\in GL_{n}\left(\mathbb{K}\right) et T\in T_{n}^{+}\left(\mathbb{K}\right) telles que :

    \[M=PTP^{-1}\]

TRIANGULAIRE (nombre)

Les entiers :

    \[1,\quad1+2,\quad1+2+3,\quad1+2+3+4,\quad\text{etc …}\]

sont appelés nombres triangulaires.

L’illustration suivante explique l’origine de cette terminologie. On y voit un empilement de :

    \[1+2+3+4+5+6+7+8+9+10=55\text{ sphères}\]

La formule suivante est archi-classique :

Proposition

Pour tout n\in\mathbb{N}^{\star} :

    \[ 1+2+\cdots+n=\frac{n\left(n+1\right)}{2}\]

Il est intéressant de noter que si les deux membres de cette égalité représentent le même nombre, la quantité de calcul nécessaire n’est pas identique dans les deux cas (les formules n’ont pas la même complexité) : n-1 additions d’un côté et, de l’autre, une addition, une multiplication et une division par 2.

L’égalité se prouve aisément par récurrence. On peut aussi voir que :

    \begin{eqnarray*} 2\left(1+2+\cdots+n\right) & = & \left(1+2+\cdots+n\right)+\left(n+\left(n-1\right)+\cdots+1\right)\\& = & \left(1+n\right) + \left(2+(n-1)\right) +\cdots+\left(n+1\right)\\& = & n\left(n+1\right) \end{eqnarray*}

Les nombres triangulaires sont des nombres polygonaux particuliers. Le théorème de Fermat-Cauchy dit que, pour tout q\geqslant3, tout entier naturel est la somme d’au plus q nombres q-gonaux.

Le cas q=4 a été résolu par Lagrange en 1770 (c’est le théorème des quatre carrés). Le cas q=3 a été résolu plus tard (en 1796) par Gauss. Le cas général est dû à Cauchy (1813). Quant à Fermat, il a formulé ce résultat en 1638, annoncé qu’il en publierait une preuve, ce qu’il n’a jamais fait.

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